Pour une église de Pentecôte :
Orientation diocésaine promulguée par Mgr Norbert Turini
Interview de Mgr Norbert Turini
Ces premiers mois passés au milieu de vous m’ont permis d’apprendre à connaître notre Eglise diocésaine et surtout à l’aimer profondément. J’ai donc décidé d’écrire, non seulement à la famille diocésaine, mais également aux hommes et femmes de bonne volonté, qui s’intéressent de près ou de plus loin à la vie de notre Eglise.
- Les visites « fraternelles » des secteurs missionnaires ;
- Les multiples rencontres personnelles et communautaires ;
- Les grands temps forts liturgiques qui nous ont rassemblés (Noël, Pâques, messe chrismale, ordinations, …) ;
- Les pèlerinages à Rome, à Lourdes plus récemment, les JMJ, le pélé VTT ;
- La découverte des sanctuaires mariaux de ND des Tables, ND de l’Agenouillade, ND du Suc et de ND du dimanche ;
- Le pèlerinage de la miséricorde à St Joseph de Montrouge ;
- Les fêtes du 15 août et de la St Roch ;
- Les baptêmes et les confirmations d’adultes et d’adolescents ;
- Le travail de nos services diocésains et le dynamisme des mouvements d’Eglise et de l’Enseignement Catholique ;
- Les belles rencontres avec les acteurs de la vie locale ;
et la liste est loin d’être épuisée, tous ces grands moments m’ont permis une intégration assez rapide, je le crois, dans le diocèse.
Mais derrière ces évènements, il y a des vies et des visages, les vôtres auxquels je me suis attaché et que j’apprends encore à connaître, à nommer, à aimer. Vous êtes présents dans mon affection et ma prière.
Dans cette lettre, je m’adresse à vous, fidèles du Christ, à mes frères prêtres et diacres, aux chères communautés religieuses de notre diocèse, aux jeunes et aux aînés, aux proches de l’Eglise et aux lointains, observateurs bienveillants, critiques ou simples curieux.
Un constat
Que de contrastes dans notre famille Eglise ! D’un côté on constate :
- Une érosion de la catéchèse dans nos paroisses ;
- Une baisse de la fréquentation dominicale significative au point que nous avons du mal à remplir toutes nos églises ;
- Un vieillissement de notre clergé diocésain, (on peut estimer en 2033 à 50 le nombre de prêtres incardinés dans le diocèse de moins de 75 ans, pour 65 aujourd’hui) ;
- Plus largement de la méfiance et une perte de confiance vis-à-vis de l’Eglise après les scandales liés à la pédocriminalité et au rapport de la CIASE.
Cela nous touche en plein cœur et, que nous le voulions ou pas, impacte la communauté des fidèles et leurs ministres ordonnés. Que l’Eglise du Christ soit au cœur de tous ces scandales provoque le départ de certains qui la quittent en le manifestant publiquement ou dans la discrétion. Il faut le reconnaître, l’Eglise que nous aimons est devenue plus fragile et plus faible. Si le monde et la société sont entrés dans la postmodernité, notre Eglise est entrée dans la postchrétienté. Cela peut affecter nos forces, notre enthousiasme, et notre élan pour la mission. D’un autre côté, nous sommes émerveillés de voir :
- Des jeunes et des adultes venir frapper à la porte de nos églises pour demander le baptême et la confirmation et rejoindre ainsi nos communautés, et il nous faut impérativement bien les accueillir et en prendre soin ;
- Une pastorale des jeunes vivante avec des célébrations joyeuses, qui sait donner un beau témoignage de sa foi, un beau visage de l’Eglise, comme je l’ai vu récemment aux JMJ et à Lourdes avec les jeunes de l’Hospitalité.
- J’ai rencontré au cours de mes visites des paroisses vivantes, attractives où règne un bel esprit de famille ;
- J’ai été marqué par une Eglise diocésaine qui porte le souci des pauvres avec la Halte Solidarité et tant d’initiatives pour prendre soin de tous les cabossés de la vie ;
- J’ai vu une Eglise diocésaine soucieuse de recevoir l’encyclique Laudato Si’ et préoccupée de l’avenir de notre planète que le Créateur et Rédempteur nous a confiée ;
- J’ai vu des prêtres heureux ;
- J’ai été touché par cette belle dévotion populaire dans nos sanctuaires. Elle s’exprime par une piété toute simple qui vient du cœur ;
- J’ai mesuré le travail de tous nos services diocésains et leurs compétences dans leur domaine d’intervention pour nous aider efficacement dans la vie pastorale et missionnaire du diocèse.
Notre Eglise diocésaine est faite de ces mélanges, parfois détonants. Elle n’est pas l’Eglise dont nous rêvons peut-être, mais
- Celle que nous vivons ;
- Celle que le Seigneur, comme Il l’a promis, accompagne jusqu’à la fin des temps, jour après jour, par son Esprit, dans les sacrements, la prière, l’écoute de Sa Parole, la vie de nos communautés, la rencontre de l’autre, l’attention aux plus petits, la charité.
Sans Lui, à qui irions-nous ? Sans Lui nous ne pouvons rien faire, notre vie tombe en ruines et notre Eglise avec. Ne Le perdons jamais de vue ni de nos vies. Fixons nos regards sur Lui, Il est notre chemin. Son amour pour nous est de toujours à toujours. Tout se tient en lui, part de Lui pour revenir à Lui comme nous le vivons à chaque eucharistie.
Nous sommes dans un changement d'époque
J’ai conscience des limites d’une lettre pastorale, parce qu’elle ne répondra pas à toutes les attentes, à toutes les questions, à tous les besoins, certains même trouveront qu’elle ne va pas assez loin, qu’elle n’est pas assez complète. Ils auront certainement raison et resteront sur leur faim et je le regrette.
Je n’ai pas la prétention de donner, moins d’un an après mon installation, les bonnes solutions et les meilleures recettes, mais simplement, humblement, quelques points de repères, en partant de notre réel, celui que j’ai à peine esquissé plus haut.
Quoiqu’il en soit nous constatons une sécularisation croissante et rapide dans nos sociétés occidentales et, reconnaissons-le, la voix de l’Eglise n’est plus guère entendue.
Nous ne sommes plus dans une société chrétienne même si certains pensent qu’au prix de quelques efforts nous pourrions la retrouver. L’orage va passer et tout redeviendra comme avant, pensent d’autres ! Alors, restons entre nous et serrons-nous les coudes en attendant. Mais le repli sur soi est toujours contreproductif !
Oui, nous apprenons à devenir minoritaires, fragiles et même si d’autres encore nient cette réalité, nous ne pouvons plus trop nous faire d’illusion. Cependant nous avons du mal à mettre des mots sur ce qui se passe parce que cette situation est encore trop récente et cela nous désempare.
Mais ce constat ne doit pas nous faire peur, car l’Evangile du Christ porte en lui, cette puissance de VIE, cette force de l’Esprit Saint qui touche le cœur de nombreux chercheurs de Dieu et chercheurs de sens (enfants, jeunes, aînés). Une puissance telle, qu’elle défie le temps, les aléas et les bouleversements de l’histoire humaine. Ces belles et nouvelles pousses dans le jardin de l’Eglise, grandissent en fleurs d’Espérance, alors que les plus pessimistes, pensent que le jardin est déserté, qu’il sera bientôt fermé et abandonné.
Un christianisme fragile n’est pas un christianisme mort. Il appelle au contraire à un sursaut de vie chrétienne, de vie ecclésiale, de vie missionnaire. Il appelle à une conversion, à un changement de mentalité, à une vraie transformation. Il appelle à nous ouvrir encore plus à l’œuvre de l’Esprit pour le laisser nous remettre en question, comme il l’a fait avec les apôtres et Marie au jour de la Pentecôte.
Il ne s’agit pas de tomber dans une pseudo-modernité. Non notre question, c’est : comment, dans les conditions actuelles, notre Eglise en général et notre diocèse en particulier peuvent faire signe au monde pour transmettre le goût, cette puissance d’amour et la beauté de l’Evangile de Jésus Sauveur avec nos modestes moyens. Car si nous ne faisons plus nombre, nous pouvons continuer à faire signe.
Je vais essayer bien simplement d’ouvrir quelques pistes.
La conversion communautaire
Je pars d’une simple question que nous pouvons nous poser : « Nos communautés chrétiennes donnent-elles envie à d’autres de les rejoindre ? » C’est une réflexion à mener, parce que le témoignage de l’Evangile part de là : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que vous serez reconnus comme mes disciples » Jn 13/35.
Il me semble que dans les mois et les années à venir, nous devons travailler à nous réformer de l’intérieur à partir de la vie de nos communautés telles qu’elles sont aujourd’hui, et telles qu’elles seront appelées à devenir plus tard.
Des expériences de fraternités missionnaires et des groupes de partage biblique ont dessiné autrement le paysage ecclésial depuis quelques années. Nous ne partons pas de zéro et je m’inscris dans la continuité de ce qui a été entrepris, mais l’essai est toujours à transformer et les expériences à poursuivre.
J’ai lu la synthèse diocésaine du synode sur la synodalité qui est en cours et dont les orientations seront connues dans un an environ. La synthèse de la consultation dans notre diocèse montre de nombreuses attentes, des désirs de changements, des demandes et des propositions en ce sens.
Mais les vrais changements viennent de l’intérieur de nos communautés chrétiennes, et surtout de nous-mêmes. Les besoins de transformations que nous exprimons, sommes-nous prêts à les vivre chacune et chacun par un changement de mentalité communautaire et personnel ?
Il ne peut pas y avoir de conversion pastorale, sans conversion communautaire et sans conversion personnelle et spirituelle. A mon humble avis, cette conversion passe par deux voies indissociables : la fraternité et l’hospitalité.
La fraternité
Sommes-nous une communauté fraternelle ou un ensemble d’individus rassemblés ?
La conversion communautaire appelle à la fraternité. C’est avant tout une exhortation de Jésus : « Vous êtes tous frères ». Mt 28/3
Cela oblige à chercher ensemble une qualité de relations en nous donnant concrètement les éléments pour une vie fraternelle (apprendre à se connaître, passer du temps ensemble, prier ensemble, partager la Parole, créer de la convivialité).
Aux dernières JMJ à Lisbonne, les 221 jeunes du diocèse se sont mis en fraternités, pour une meilleure qualité de partage. Ils ont ainsi créé du lien entre eux, cela les a rapprochés et unis autour de Jésus-Christ.
A partir de nos assemblées et de nos groupes tels qu’ils sont, comment se mettre en recherche de plus de fraternité ? Cela commence dans nos assemblées et nos groupes chrétiens par une manière d’être entre nous qui passe par l’accueil, la rencontre et la reconnaissance de l’autre et cela peut se poursuivre par des initiatives qui permettraient la création de petites fraternités de villages et de quartiers, qui se réuniraient non pas nécessairement à l’église mais dans les maisons pour vivre du partage, de la prière, de la Parole de Dieu et qui se retrouveraient le dimanche pour la fraction du pain. Nous mettre déjà en fraternités, les poursuivre là où elles existent nous permet de préparer demain.
Il y a un amour fraternel qui est indissociable de la vie et de la mission de l’Eglise. Une communauté qui n’est pas fraternelle, ne peut pas être missionnaire, finit par être froide et sans âme. C’est souvent, d’ailleurs ce que les observateurs extérieurs regardent en premier : si nous nous aimons comme des frères.
Mais ne nous y trompons pas cette fraternité ne relève pas seulement de nos efforts communs ou personnels. Elle découle de l’amour et de l’unité qui lient le Père, le Fils et l’Esprit et qui rejaillissent au cœur de l’Eglise. Elle se construit à partir de leur amour trinitaire. Elle n’est pas d’abord notre œuvre, mais celle de Dieu. Elle est donc également une œuvre spirituelle que nous avons à porter et à demander dans notre prière collective et individuelle, à déposer sur l’autel au moment de l’offrande.
Il n’y aura pas non plus de synodalité sans cette fraternité communautaire de l’Eglise. Sinon, elle ne sera qu’une stratégie de gouvernance, d’équilibre des forces, alors qu’elle suppose un lien de forte communion ecclésiale dans le Christ Jésus pour une intégration de tous les baptisés (laïcs, consacrés, ordonnés) à la mission de l’Eglise
L'hospitalité
Mais la fraternité ne suffit pas à elle seule pour s’accomplir totalement, elle s’accomplit vraiment dans l’hospitalité. La fraternité s’ouvre à plus large qu’elle. L’Apôtre Paul nous le rappelle dans l’épître aux Hébreux : « N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. » 13/2
Il est de notre mission d’être hospitaliers, c’est-à-dire d’offrir un espace ouvert pour les chercheurs spirituels comme un « parvis des gentils », selon l’expression de Benoît XVI. Ils sont plus nombreux que nous l’imaginons. Il existe des femmes et des hommes, des enfants, des jeunes et des adultes qui, sans s’identifier totalement à nos enseignements ou à nos pratiques, ressentent néanmoins une certaine proximité avec le christianisme et la foi catholique. Certains, même, poussent la porte de nos églises et en franchissent le seuil : les recommençants à croire, les catéchumènes, etc… Quelle hospitalité leur offrons-nous ?
L’hospitalité ouvre les frontières et favorise ainsi l’accueil et l’intégration de tous ces chercheurs spirituels qui viennent enrichir l’Eglise de leurs expériences et qui se laissent enrichir par la nôtre.
L’Eglise se fait accueil de tous, et selon les mots de St Paul VI, elle « doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se fait conversation. » Ecclesiam Suam 67
Une communauté chrétienne doit tenir ensemble ces deux dimensions de la fraternité et de l’hospitalité. La sécularisation n’est pas une fatalité pour l’Eglise, mais lui offre l’occasion d’une véritable transformation afin qu’elle soit le symbole de cette fraternité hospitalière qui situe sa mission, d’être au service de l’amour de Dieu pour ce monde.
Si j’ai voulu insister sur la conversion communautaire comme l’une des expressions de la conversion pastorale, c’est pour nous préparer à vivre ce qui nous attend dans les années qui viennent.
Une Eglise de Pentecôte
Je crois que les réformes de structure, même avec quelques retouches, ne répondent plus à la situation de nos communautés ecclésiales actuelles. Ce n’est donc plus dans cette direction qu’il faut chercher. Avec un nombre de prêtres décroissant dans les années à venir, il serait inhumain de leur donner encore plus de territoires à couvrir surtout dans la partie rurale de notre diocèse. Cela doit entrer dans la conscience de tous.
Cette conversion communautaire qui appelle une vraie fraternité hospitalière prépare déjà les communautés que l’Esprit Saint fera naître demain dans notre diocèse y compris dans les zones rurales reculées. Je le répète, c’est de nousmêmes, de l’intérieur de nous-mêmes, de notre réel qu’il nous faut partir pour laisser l’Esprit Saint agir et nous transformer.
La vivacité de l’Esprit Saint nous pousse à exercer notre mission prophétique et à être visionnaires. Nous ne voulons pas changer pour changer, mais parce que les circonstances, les signes des temps nous y conduisent et nous montrent bien que dans un proche avenir nos communautés, pour être sacrement de Jésus-Christ au cœur du monde, devront retrouver et développer davantage l’enthousiasme, le dynamisme, l’élan d’espérance des premiers chrétiens tels que les décrivent les Actes de Apôtres :
« La multitude de ceux qui étaient devenus croyants, n’avaient qu’un seul cœur et une seule âme » Ac 4/32. « Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leur repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. » Ac 2/ 46-47
J’ai conscience que ce processus de changement peut être long et fastidieux, voire même non désiré par certains qui penseront que la « maintenance » suffit !! Pourquoi faire autrement que ce que nous avons toujours fait ? J’ai conscience également que je ne verrai pas les fruits du changement, un autre les recueillera peut-être. Un est le semeur, autre est le moissonneur !
Mais si nous ne tentons rien, si nous ne nous lançons pas dans un élan d’espérance, d’audace et de courage, si nous voulons que tout reste comme avant, alors il est certain que nous reculerons l’échéance, ce qui ne résoudra rien et nous laissera encore plus dépourvus. « L’amour du Christ nous presse » 2 Cor 5/14 et Son Esprit nous pousse.
De même je crois que dans des communautés où se vit une belle fraternité hospitalière, la relation entre ses membres ne se décline plus tout à fait en termes de pouvoir des clercs et des laïcs, mais elles font plus souvent appel à l’initiative de tous ses membres (clercs et laïcs) en termes de service.
Les changements de mentalité ne sont jamais évidents, pas plus pour les fidèles laïcs que pour les ministres ordonnés. Et même si Ecclesia semper reformanda, nous avons du mal, moi le premier, à accueillir le renouveau de l’Esprit Saint qui casse nos habitudes et nous projette dans d’autres directions pour le bien de Son Eglise.
On a toujours fait comme ça. Pourquoi changer ? Parce que le monde change très vite et que la mondialisation fait son œuvre dans un univers hyper connecté où l’homme ne s’est jamais senti aussi seul. Il aura besoin de lieu d’espoir, d’accueil, d’humanité. C’est pour lui aussi que ces communautés fraternelles et hospitalières existeront, pour qu’il se sente comme à la maison : attendu, estimé, aimé et qu’il découvre que nous sommes heureux d’être chrétiens ensemble.
J’essaie de nous ouvrir un chemin, de proposer une direction. Je ne peux pas, dans une seule lettre pastorale, en donner les modalités d’application parce que nous aurons à les chercher ensemble dans nos paroisses, nos secteurs missionnaires, nos services, nos mouvements, nos conseils et tous nos groupes. C’est chaque chrétien et tous ensemble qui doivent se sentir responsables d’une Eglise fraternelle et hospitalière, humble, aimante davantage au service de tous.
Je confie cette mission au Père Patrick Bonafé, vicaire général qui accompagnera et animera cette réflexion avec les responsables de secteurs, et au Père Gérard Blayac, vicaire général avec les responsables de services. Nous prendrons le temps sur une durée de 3 ou 4 ans avec des points d’étape chaque année pour mesurer les avancées. Ce n’est pas une réforme technique ou de structure, mais pastorale, spirituelle et missionnaire à vivre profondément dans la prière et l’union au Christ.
« Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, audessus de tous, par tous et en tous » Eph 4/5-6, et malgré cela, je sais qu’entre chrétiens il y a des divergences, des tensions, des différences qui manifestent notre diversité. Est-il possible de les laisser de côté ?
Peut-on se dire que dans les Eucharisties que nous célébrons, nous recevons le même corps du Christ qui fait l’unité de Son Eglise et nourrit notre communion et notre fraternité ? Peut-on se dire que nous prions le même Seigneur et que nous sommes tous membres de Son Corps que la Trinité travaille avec un amour sans mesure ?
Un ministère de visitation
Cette fraternité hospitalière doit se vivre aussi au niveau des ministres ordonnés. J’ai toujours dit que la fraternité entre prêtres et entre prêtres et diacres, est un plus pour la mission et que la crise de l’Eglise ne vient pas que de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur : de nous-mêmes, des relations que nous entretenons entre nous ou pas et de la manière dont nous les vivons. Les communautés religieuses peuvent nous aider à grandir et à gagner en fraternité. Elles en connaissent les obstacles et les difficultés, mais aussi les joies et les richesses.
Un prêtre seul, isolé est un prêtre en danger, replié, et cela entraîne une perte de dynamisme pastoral. Si nous nous sentons profondément frères les uns des autres, alors nous commencerons à veiller les uns sur les autres et je l’espère à nous aimer les uns les autres.
Nous le savons bien, le Malin s’insinue dans nos divisions pour empêcher la communion fraternelle et compromettre la mission. A nous de lutter avec la force de l’Esprit pour déjà nous combattre nous-mêmes et favoriser entre nous plus de ponts que de murs.
Si Pierre est le roc, sur lequel le Seigneur construit Son Eglise, Paul est la route de la mission. Il nous appelle, comme il l’a vécu lui-même à un ministère plus itinérant qui nous invite non pas à passer dans les communautés, mais à les visiter. Le plus bel exemple c’est Marie qui nous l’offre dans le récit de la Visitation. Elle passe du temps (3 mois) chez sa cousine Elisabeth. On ne peut pas accompagner une communauté si l’on ne s’y arrête pas, si l’on ne consacre pas du temps à rencontrer les gens, à les rassembler pour la prière et pour l’eucharistie, à partager avec eux la Parole, à les aider à vivre cette fraternité hospitalière, à s’ouvrir à l’accueil de tous. Bref à se faire pasteur, proche, au contact, prêt à passer un jour, deux ou trois pour entrer dans cette vie communautaire et la vivre joyeusement avec les fidèles.
Pour ce faire, les prêtres devront se dégager de beaucoup de tâches matérielles, structurelles, temporelles afin d’avoir ce temps libre pour la « visitation » où ils trouveront leur bonheur et leur joie d’être prêtres comme je trouve ma joie d’être évêque dans les visites fraternelles de secteurs. Ce qui supposera de faire appel à des laïcs encore plus engagés ou d’inventer d’autres façons de faire pour la gestion matérielle, économique des communautés, et pour les prises de décisions. On pourrait aussi faire appel à des animateurs de communautés proches du terrain et à l’écoute des personnes qui frappent à la porte de nos églises.
De même nous aurons à resituer également la mission et le rôle des diacres permanents dans cette configuration. Cela supposera un gros travail de formation et d’accompagnement. Le ministère du prêtre à plein temps restera indispensable.
Je n’oublie pas cette exhortation de St Paul VI, s’adressant aux Pères du Concile à la fin de Vatican II : « Nous nous quittons pour aller vers le monde d’aujourd’hui avec ses misères, ses douleurs, ses péchés, mais aussi ses prodigieuses réussites, ses valeurs, ses vertus… L’avenir est là […]. C’est pour toutes les catégories humaines que ce Concile travaille depuis quatre ans. De notre longue méditation sur le Christ et sur Son Eglise doit jaillir à cet instant une première parole annonciatrice de paix et de salut pour les multitudes qui sont en attente. »
Je ne cherche pas bâtir une autre Eglise. Elle est et subsistera l’Eglise du Christ, bâtie sur le roc de Pierre, vivant de l’Esprit Saint qui s’accomplira en plénitude dans la Jérusalem Céleste quand Dieu sera tout en tous et que nous serons aimés éternellement. L’Eglise et ses membres sont en pèlerinage vers ce but. Mais c’est déjà, dans cette existence de chaque jour, reçue de la grâce du Seigneur, que la vie éternelle est déjà commencée et que nous en témoignons. (Préface des dimanches n°6).
Je cherche comme vous tous à servir l’Eglise que j’aime et à laquelle je dois tant. Chercher des chemins nouveaux ensemble n’est pas une révolution, mais un appel de l’Esprit Saint à regarder lucidement aujourd’hui et demain, la vie de notre Eglise et coopérer avec Lui pour qu’elle soit toujours la demeure de Dieu parmi les hommes. C’est sa mission.
Lorsque Marie se leva pour se rendre en hâte chez sa cousine Elisabeth, l’Espérance qu’elle porte est plus forte que la peur d’un voyage périlleux, voire dangereux. Rien ne peut l’arrêter. Avec le Seigneur en elle, plus rien à craindre, elle avance résolument avec courage et audace. Je l’imagine, joyeuse, louant le Seigneur, heureuse, décidée à témoigner et à rendre grâce des merveilles que le Seigneur a réalisé dans sa vie. Déjà son Magnificat commence à chanter en elle.
C’est cette même espérance, ce même courage, cette même audace, cette même louange que nous lui demandons, en l’invoquant, afin que rien ne nous arrête. « L’homme est la première route que l’Eglise doit parcourir en accomplissant sa mission : il est la première route et la route fondamentale de l’Eglise, route tracée par le Christ lui-même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption. » St Jean-Paul II Redemptor Hominis n° 14. Que Marie, par son intercession, nous ouvre le chemin pour une Eglise qui se renouvelle dans l’Esprit de Pentecôte et continue à témoigner à temps et à contre temps du bonheur de croire, de vivre et d’aimer.
Merci d’avoir eu la patience de lire jusqu’au bout ma longue lettre, mais j’avais tant à vous dire.
Le Ressuscité ne cesse d’ouvrir dans l’Eglise et dans le monde « des portes d’Espérance » Osée 2/15. A nous d’en franchir le seuil maintenant. Qu’Il vous bénisse et vous comble en plénitude de joie, de paix et vous remplisse de Sa lumière et de Sa tendresse.
Dimanche 1er octobre 2023, en la fête de Sainte Thérèse de l’enfant Jésus et de la Sainte Face.
+ Norbert Turini Archevêque de Montpellier, Béziers, St Pons de Thomières, Agde, Lodève