Aftersun
- Réalisatrice : Charlotte Wells
- Genre : drame
- Nationalité : anglaise, américaine
- Distribution : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall…
- Durée : 1h38mn
- Sortie : 01 février 2023
Ce premier long-métrage de Charlotte Wells, qui est en partie autobiographique et demandé à sa réalisatrice sept années d’écriture, suit le temps d’un été les vacances d’un père et de sa fille de onze ans, Sophie. Avec ce premier film comme scénariste et réalisatrice Charlotte Wells témoigne d’une réelle maturité dans sa mise en scène et propose un film attachant.
À la fin des années 1990, Sophie, onze ans, et son père Calum passent leurs vacances dans un club de la côte turque. Ils se baignent, jouent au billard et profitent de la compagnie complice de chacun. Calum devient la meilleure version de lui-même lorsqu’il est avec Sophie. Sophie, quant à elle, pense que tout est possible auprès de lui. Vingt ans plus tard, les souvenirs de Sophie prennent une nouvelle signification alors qu’elle tente de réconcilier le père qu’elle a connu avec l’homme qu’elle ignorait.
Derrière l’insouciance de simples vacances ordinaires se dessinent un drame familial entre un père qui a du mal à rebondir dans sa vie professionnelle et personnelle après son divorce et sa jeune fille qui souhaite découvrir de nouvelles expériences, se faire de nouveaux amis
A propos de son film Charlotte Wells a déclaré : «Je ne voulais pas imposer une chronologie arrêtée, mais quelque chose s’apparentant davantage à… des parcelles d’événements remémorés.» L’intrigue consiste en une série de moments finement observés entre Sophie et Callum, entre Sophie et les adolescents de l’hôtel entre Sophie et elle-même, et enfin entre Sophie et Callum encore, mais à l’insu de ce dernier, lorsqu’il se croit seul. Toute la fragilité et la beauté d’Aftersun réside dans des scènes où les relations vraies passent par les gestes, les regards. D’une grande délicatesse, le film suggère ce qui reste tu et qui pourrait s’avérer dévastateur.
Si une mélancolie certaine est visible dans ce film, elle s’explique en partie par un long retour en arrière ponctué de courtes séquences dans le présent où l’on retrouve Sophie adulte. Elle ne fait pas que se remémorer : elle est hantée. Là comme ailleurs dans son film, Charlotte Wells opte pour la suggestion et l’impressionnisme, laissant le soin au public de déduire, voire de décider du sens à donner à tel regard, telle expression. Aftersun se place du point de vue de Sophie mais parvient remarquablement à faire du mal-être que tente de cacher son père l’élément central. En effet nous comprenons que Calum est dans une profonde dépression. Les vacances de rêve qu’il tente de faire vivre à sa fille ne permettront pas de cacher indéfiniment sa douleur. La réalisatrice a fait le choix de ne pas donner d’explications à l’état de son personnage.
Aftersun aborde avec force notre rapport à l’image et aux souvenirs grâce à l’utilisation des vidéos réalisées par Sophie. Mais l’adolescente n’est pas la seule à profiter de ces vidéos. Tous les soirs, avant de s’endormir, Calum visionne seul les images filmées dans la journée. Bien plus qu’une simple distraction, c’est un moyen pour lui de capitaliser des souvenirs qu’il peut encore enregistrer avant de disparaître.
Présenté en compétition officielle à la 48ème édition du festival de Deauville en 2022 le film Aftersun a été récompensé du Grand prix et du prix du jury de la critique. Après avoir remporté lors du festival de Cannes dans le cadre de la Semaine internationale de la critique le prix du jury, Aftersun s’impose comme une chronique dramatique de l’adolescence émouvante. Se positionnant elle-même dans le regard de Sophie, Charlotte Wells rend un bel hommage à une figure paternelle disparue.
Philippe Cabrol
Chrétiens et Cultures
Un petit frère
- Réalisatrice : Léonor Seraille
- Genre : drame
- Nationalité : française
- Distribution : Laetitia Dosch, Stéphane Bak, Ahmed Sylla, Annabelle Lengronne…
- Durée : 1h56mn
- Sortie : 01 février 2023
Le deuxième film de Léonor Serraille, Caméra d’or en 2017 avec Jeune femme, Un petit frère a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2022. Ce film relate la chronique d’une famille ivoirienne des années 80 à nos jours.
Rose débarque à Paris avec ses deux enfants, Jean et Ernest, laissant derrière elle la Côte d’Ivoire, un mariage que l’on devine douloureux et deux fils ainés. Elle emménage dans un appartement exigu de la banlieue parisienne où elle doit cohabiter avec des membres de sa famille installés de longue date dans l’Hexagone. Rose n’a peur de rien. Elle travaille pour un salaire modeste dans des hôtels en tant que femme de ménage. Elle élève Jean et Ernest avec une rigueur spartiate car elle souhaite qu’ils deviennent des écoliers modèles. Et surtout, Rose vit sa vie de femme libre.
Ce film c’est 20 ans d’histoire, 3 personnages et 3 points de vue. La narration du film est décomposée en trois parties distinctes qui adopte successivement le point de vue de ses trois personnages : la première suit la mère, la seconde le grand frère et la dernière le petit frère (qui est le narrateur en voix-off). Rose est une mère courage qui, envers et contre tout, refuse d’obéir aux diktats de ses proches et de son environnement social. Jean, ce petit garçon débrouillard deviendra un étudiant prometteur avant d’emprunter de dangereux chemins de traverse. Ernest, le petit frère du titre, qui, de l’enfance à l’âge adulte, semble vivre dans l’ombre de sa mère et de son aîné, apprendra à leur contact à devenir un jeune homme libre. À tour de rôle, chacun occupe le centre de la scène, présentant son regard sur leur famille et l’acclimatation à ce nouvel environnement.
À travers ces trois points de vue, la réalisatrice décortique l’intégration d’une famille d’immigrer sans tomber dans les clichés. Avec douceur, elle livre trois portraits intelligents qui révèlent les qualités multiples d’un scénario qui a l’art de rester sobre. Cette construction narrative lui permet d’ajouter de la nuance dans la caractérisation de chacun de membres de la famille : parfois égoïste, à d’autres moments prêts à tout pour s’entraider. Ils sont avant tout profondément humains, complexes, et apprennent tant mal que bien, au gré des joies, des épreuves et des séparations, à composer avec la violence du monde.
Au- delà de l’aspect politique et social du film, Un petit frère se vit d’abord comme un film de personnages à travers une femme qui, en dépit des obstacles, entend vivre sa vie comme elle l’entend, un grand frère mu par une rage intérieure qui va devenir explosive quand il comprendra qu’il ne parviendra jamais à habiter le destin qu’il s’était imaginé, et un petit frère qui va tenter de tirer les leçons de toutes ces péripéties souvent tragiques. Dans le film, une très forte responsabilité incombe à l’aîné, c’est celui qui apparaît comme le plus doué, et qui malheureusement ne va pas réussir à soutenir la pression qui repose sur ses épaules. Léonor Serraille montre avec talent la nervosité qui l’habite, jusqu’à le consumer, lui qui s’était fixé des objectifs très élevés, comme celui de réussir le concours d’entrée d’une grande école parisienne. Sa descente aux enfers, qui devient rapidement une absence douloureuse pour Ernest, est un constat d’échec pour les deux autres membres du noyau familial. Ernest, le petit frère nommé, qui est au centre de la troisième partie, se retrouve seul, il est inséré dans la vie sociale de sa ville et de son école tout du moins en apparence. Devenu enseignant, il est aussi seul, coupé de ses racines, de sa famille et de ce frère qui était son modèle, son phare. Beaucoup de tristesse émane dans cette dernière partie qui est le constat d’une faillite dans le projet initial de cette famille, et surtout de Rose.
Un petit frère impressionne par sa précision dans la réalisation. Chaque cadre est bien pensé et dévoile subtilement les émotions des personnages avec beaucoup d’humilité. La conclusion est belle et bouleversante, montrant le terrain miné qui amène à l’assimilation culturelle.
Philippe Cabrol
Chrétiens et Cultures
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