Suzume

  • Réalisateur : Makoto Shinkai
  •  Genre : animation, aventure, drame
  •  Nationalité : japonaise
  •  Distribution : Lévannah Solomon, Nanoka Hara, Benjamin Jungers
  • Durée : 2h
  • Sortie : 12 avril 2023

    Après Your Name en 2016, et Les enfants du temps en 2019,  Makoto Shinkai est devenu l’un des noms les plus reconnus au sein du cinéma d’animation. Si en 2002, le film d’animation Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki avait gagné l’Oscar du meilleur film d’animation et l’Ours d’or au Festival de Berlin, depuis cette date aucun film d’animation japonais n’avait figuré  dans la compétition officielle du Festival de Berlin. Or le nouveau film de Makoto Shinkai, Suzume, a été présenté à la Berlinale 2023 et a fait partie de la compétition  Avec ce film, le réalisateur japonais nous propose de plonger dans un récit surnaturel offrant une belle réflexion sur le charme de la nature et de la vie.

    Dans une petite ville paisible de Kyushu, une jeune lycéenne de 16 ans, Suzume, rencontre un homme Sota qui dit voyager afin de chercher une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes,  elle est embarquée dans une aventure à travers le Japon, pour refermer des portes ancestrales, qui libèrent des forces monstrueuses et destructrices et qui laissent s’échapper des « vers » à l’origine de violents tremblements de terre. Suzume commence son parcours initiatique dans un rythme très soutenu. Cette héroïne propulsée dans des villages et des villes, dans des  ruines,  des parcs d’attractions abandonnés,… est à la poursuite d’un petit démon ayant pris l’aspect d’un petit chat blanc appelé Daijin, qui a transformé Sota en une petite chaise en bois  à trois pieds qui marche toute seule. Sota transformé en chaise accompagne Suzume  dans son périple. Suzume aura l’occasion, à travers ce road  movie  de retrouver  le chemin de son enfance et d’affronter le mystère de la disparition de sa mère biologique.

    Comme bien d’autres réalisateurs, Makoto Shinkai a ses thèmes de prédilection. On retrouve du fantastique,  de la spiritualité,  ou encore la menace de catastrophes naturelles. Le film est notamment marqué par les multiples séismes qui secouent régulièrement le Japon, notamment celui survenu en mars 2011 sur la côte Pacifique du Tōhoku au Japon. Plus d’une décennie depuis cet événement, l’archipel est loin d’avoir oublié cette catastrophe et Suzume en est une nouvelle preuve. Shinkai d’ailleurs n’a pas hésité à utiliser certaines images du tsunami devenues iconiques, comme ce bateau échoué sur le toit d’une maison.

    Dans ce nouveau  long métrage, qui mêle fantastique et préoccupations écologiques, Makoto Shinkai  montre aussi sa passion pour la mythologie japonaise. Il puise dans la tradition de son pays, où l’on réserve depuis des centaines d’années les montagnes aux dieux et aux ancêtres, piliers de la religion shintoïste très représentée au Japon. Dans la mythologie nippone, le namazu est un énorme poisson-chat (ou dragon) qui serait à l’origine des tremblements de terre. Il est habituellement contenu par le dieu Takemikazuchi, sauf quand ce dernier relâche son attention. Selon la religion shinto, la terre du Japon est avant tout celle des kamis : des divinités qui habitent tous les recoins du pays -les ruisseaux et les rochers, les fleuves et les montagnes. La force surnaturelle de chacun de ces kamis est parfois nigimitama (force bienveillante), parfois aramitama (force brutale) construction et destruction. Tous les vingt ans, les deux plus grands sanctuaires shinto du Japon, situés dans la ville d’Ise, sont détruits volontairement pour être reconstruits (depuis plus de 1500 ans, d’après la tradition). De la même façon, Suzume désamorce la hantise de la destruction, qui n’est plus vue comme un châtiment mais comme une partie nécessaire de la grande dynamique de la vie. « Ce cycle est inhérent à la société japonaise », explique Shinkai : « A cause des tremblements de terre, forcément, la plupart des villes sont toujours détruites à un moment donné. Tokyo a été dévastée il y a cent ans, Kobe en 1995… On répète toujours la même chose : détruire et reconstruire. »

    Ce film est également source de références de la culture nippone et fait des allusions à la filmographie du grand réalisateur  Miyazaki notamment  Le Château AmbulantLe Voyage de Chihiro, mais aussi Kiki la Petite Sorcière.

    Le visuel de Suzume est splendide et fascinant. Les environnements reflètent un réel  souci du détail et ce  de la nature aux mégalopoles, en passant par les effets de pluie/vent, les intérieurs ou les mouvements des personnages.

    Suzume est un enchantement. Ce film appartient  au genre de scénario qui est un grand classique des animes (un anime, également appelé parfois japanime ou japanimation, et qui désigne une série d’animation ou un film d’animation en provenance du Japon)  et autres productions japonaises. Les histoires que nous offre Makoto Shinkai sont toujours brillantes et pleines d’un spiritualisme et d’une beauté que l’on retrouve rarement au cinéma.

    Suzume est issue d’une tradition littéraire et orale où le monde des esprits cohabite avec la société humaine, et où le poids du monde repose sur les épaules d’adolescents. En mêlant le magique et le quotidien des japonais, l’auteur écrit une histoire grand public qui lui permet de traiter de ces sujets plus graves.

The Quiet Girl

  • Réalisatrice : Colm Bairéad
  • Genre : drame, drame social
  • Nationalité : britannique, irlandais
  • Distribution : Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennet, Michael Patric
  • Durée : 1h36mn
  • Sortie : 12 avril 2023

    Après avoir connu un succès retentissant dans les festivals, notamment à Berlin, où il a remporté l’Ours d’argent du jury adolescent et le prix du public à Taipei, The quiet girl, le premier long métrage de fiction de Colm Bairéad,  a représenté l’Irlande pour l’Oscar du meilleur film international. Le récit est l’adaptation de Foster, une nouvelle de Claire Keegan, publiée en France sous le titre de Les trois lumières. C’est l’histoire, durant un été, d’une petite fille mutique privée d’affection, qui va découvrir chez de lointains cousins l’amour dont un  enfant a besoin pour grandir et s’épanouir. Ce film est  une évocation de l’enfance délicate et bouleversante.

    Taiseuse et introvertie, Cáit est une fillette de neuf ans effacée  et négligée par sa famille. En difficulté à l’école, où elle a du mal avec la lecture, et en souffrance à la maison, où elle se fait tout aussi discrète, elle a appris à ne pas se faire remarquer. La rude condition d’agriculteurs de ses parents, dans cette Irlande verdoyante et pourtant aride des années 80, n’est guère joyeuse et rien n’incite dans cette famille  aux démonstrations d’amour familial, aux manifestations de bonheur et de tendresse. Tout y respire la résignation à la pauvreté. Les vacances arrivant ainsi que la naissance d’un énième enfant, le premier garçon,  provoquent  la décision des parents d’envoyer Cáit chez des parents éloignés que la fillette n’a jamais revus depuis sa naissance. Confiée sans explications à Eibhlín et Sean Kinsellas qui représente deux étrangers pour elle , la petite fille tente de faire connaissance avec ce couple quinquagénaire. Chacun à leur manière, radicalement différente, accueille Cáit dans leur maison et dans leur vie avec une chaleur que celle-ci n’a jamais connue.  Elle s’épanouit avec eux, elle ne manque désormais de rien et peut enfin bénéficier de l’attention dont tout enfant a besoin pour grandir sereinement : de la douceur, de la tendresse … une découverte pour Cáit qui, d’abord prudente et réservée, abandonne peu à peu ses défenses.  Invitée à participer à la vie de la ferme et de la maison, Cáit ose enfin s’exprimer, sourire, se laisser aller à vivre. Elle tisse des liens forts avec ce couple, à tel point qu’ils remettent en question, pour la petite fille, le sens même de la famille. « Peut-on choisir ses parents ? » Le couple lui apprend à aimer et à être aimée.

    Le séjour chez Eibhlín et Seán est une suite de journées répétitives, faites de bienveillance, de soins,  d’apprentissage, de temps de tendresse avec Eibhlín  et avec Seán à travers la course vers la boite à lettres ou encore le nettoyage de l’étable,  de découvertes et de confiance en soi. Pourtant ce couple temporairement adoptif semble envahi d’une certaine tristesse.

    Le titre  original de la nouvelle  de Claire Keegan Foster signifie élever, encourager, tandis que le titre  français Les trois lumières  fait référence à un moment particulier du film. Ces trois lumières sont Eibhlín, Seán et  leur enfant qui peut être Cáit ou la lumière qu’ils ont perdue, celle de leur fils décédé, dont la présence de  Cáit  semble être une « sorte de résurrection ». Dans une magnifique séquence, Seán est dépassé par ses émotions  face à trois lueurs sur la mer, qui représentent l’inaccessible, une blessure inguérissable mais aussi ce qu’il est destiné à perdre de nouveau puisque Cáit doit repartir chez ses parents.

    Le film est volontairement lent, c’est ce qu’a voulu Colm Bairéad pour montrer l’indicible et l’épanouissement de Cáit. Beaucoup de silence également. Le film est silencieux comme les trois personnages principaux. Nous pouvons assimiler ce silence à une méditation : silence dans la nature,  silence dans les non-dits, silence  dans les peurs et les chagrins, silence  dans les relations entre ces trois personnes. Colm Bairéad dit lui-même « le cinéma est un art visuel, il doit trouver les moyens de transcrire des émotions complexes…et sans paroles ».  Dans leurs silences, un autre langage naît, fait de gestes, de moments où la tendresse trouve à s’exprimer autrement que par des mots.

    Ce long métrage est soigneusement mis en scène et magnifiquement photographié, du premier foyer sombre, le film passe à un second foyer plus lumineux. Les couleurs changent aussi avec  des champs baignés de soleil, des jaunes et des bruns réconfortants.

    Le réalisateur apporte à son récit une dimension spirituelle, il conduit les pas de cette petite fille vers une reconstruction personnelle. Il montre avec sensibilité et sobriété la mécanique de la carence affective, mais surtout l’amour entre le couple et Cáit  qui est fondé sur le respect de l’autre, l’altérité et  la confiance en soi.

    Simple, délicat, profond et  tout en retenue, développant  une belle puissance émotionnelle à travers  des êtres fragiles, The Quiet girl suggère plutôt qu’il ne dit les choses. Le cinéaste irlandais raconte aucune cette parenthèse enchantée qui révèle la petite fille à elle-même et insinue un rayon de soleil dans la vie du couple vieillissant qui l’accueille. Ce film est un cadeau à accueillir et à savourer.

    Ce long métrage est un grand succès critique et commercial de l’histoire du cinéma irlandais à avoir été tourné dans la première langue officielle du pays, le gaélique irlandais. Assimilés à la culture anglophone hégémonique avoisinante, les personnages naviguent constamment entre les deux langues. La langue irlandaise tout d’abord, qui est presque le nouveau standard des films irlandais les plus récents (The Banshees of Inisherin), Jusqu’en 2017, on dénombre seulement 4 films tournés en gaélique irlandais. Depuis 2019, 5 autres ont été tournés.

Philippe Cabrol
Chrétiens et Cultures