Bernard Lapize de Salée est né en 1932 à Annonay, en Ardèche. Il vit son adolescence dans un pays occupé, la France, alors que ses deux grands frères sont entrés en résistance, au maquis.
Il est pensionnaire au collège jésuite d’Avignon. A la fin de sa scolarité, il obtient le prix d’honneur, alors qu’il avait été mis à porte de l’établissement quelques semaines plus tôt pour indiscipline. En effet, il s’était dénoncé comme auteur d’un chahut pour éviter l’exclusion du vrai coupable, un camarade d’origine sociale défavorisée, dont l’avenir risquait d’être compromis par cette exclusion à la veille du baccalauréat.
La dissidence, Bernard l’a connue très tôt. Au fond, c’était un rebelle. Il sera souvent en difficulté avec l’ordre établi.

Il entre au noviciat jésuite en 1949, à 17 ans. Pendant sa formation qui durera 15 ans, il se distingue par son intelligence, son franc-parler et son anti-conformisme. C’est un leader naturel, reconnu par tous, professeurs et étudiants.
Pendant son service militaire, il découvre l’Algérie. L’Algérie, pays occupé, l’Algérie prise dans une guerre qui ne dit pas son nom. L’Algérie, terre d’injustices, d’hypocrisie et de mensonge. Il est mordu au cœur. Il affronte l’incompréhension de nombre de ses frères jésuites d’Alger. La cause de ce peuple deviendra la sienne. Toute sa vie, il voudra la liberté pour le peuple algérien, comme ses grands frères avaient choisi la liberté pour le peuple français.

Au terme de sa formation, en 1964, il rejoint l’Algérie qui accède à sa difficile indépendance. La bibliothèque de l’Université d’Alger avait été incendiée par l’OAS ? Il transforme l’aumônerie des étudiants catholiques en centre culturel où les étudiants peuvent venir travailler sur les livres, manuels et polycops qu’il fait venir de France. Bien des relations et des amitiés se nouent alors, pour la vie. De 1970 à 1975, il est supérieur des jésuites d’Algérie. Il sera élu par les jésuites de France pour les représenter au chapitre général de l’ordre, en 1974.
Mais Bernard n’aime pas les rentes de situation. Après vingt ans en Algérie, il revient au France, en 1984 pour se mettre au service des relations entre Maghrébins et Français, réunir « les deux rives ». A Montpellier, pendant 8 ans, il sera curé du quartier populaire dit le Petit-Bard. Il collabore aussi à l’animation du CTI (Centre théologique interdiocésain) avec des prêtres du diocèse.
On le rappelle à Oran en 1995. L’année suivante, les prêtres du diocèse le choisissent comme administrateur diocésain pour remplacer le Bienheureux Pierre Claverie qui venait d’être assassiné. « Pendant deux ans, aimait-il à dire, j’ai fait semblant d’être évêque ». Il sera ensuite vicaire général du nouvel évêque d’Oran, Mgr Georger, puis, pendant cinq ans, curé de Tlemcen. Il ira souvent fraterniser avec les migrants africains en transit à Maghnia, au bord de la frontière marocaine, en compagnie de Jean-Paul Vesco, futur archevêque d’Alger.
Cette seconde vie en Algérie aura duré dix ans.

Bernard revient à Montpellier en 2007. Il a 75 ans. Pas question de décrocher. Il anime des groupes de réflexion, des équipes EDC, qui réunissent des chefs d’entreprise, il accompagne des équipes de la communauté spirituelle « Vie chrétienne », il célèbre l’Eucharistie pour la communauté portugaise. Bien des chrétiens viennent le consulter pour leur vie spirituelle personnelle. Mais ce qui le mobilise le plus, c’est le groupe interreligieux réunissant musulmans, protestants et catholiques ; c’est aussi sa fonction d’exorciste diocésain au sein d’une équipe stimulante. Bernard était un maître spirituel. Il y avait aussi en lui un thérapeute des cœurs et des esprits, un peu sorcier, un peu chamane. Certains étudiants algériens étaient, paraît-il, persuadés qu’il était médecin.
Le virus covidien aura raison de ses forces. Après douze jours d’hospitalisation, au cours desquels il aura été admirablement soigné, le 24 mai il s’éveille pour un matin qui n’aura pas de fin. « Comme je suis heureux ! », s’était-il exclamé deux jours plus tôt devant des amis très chers venus lui rendre visite : « Je reçois tant d’amitié et tant d’amour ! »
Amitié, liberté, lucidité, franc-parler. Ce sont les mots, je crois, qui caractérisent le mieux la personnalité de Bernard.

Dominique Salin
Supérieur de la communauté jésuite de Montpellier