En fanfare
Réalisateur : Emmanuel Courcol
Genre : comédie
Nationalité : France
Distribution : Benjamin Laverhne, Pierre Lottin, Sarah Suco, Jacques Bonnaffé.
Durée : 1h43 mn
Sortie : 27 novembre 2024
Désignée par certains festivals comme la petite pépite cachée du Festival (présentée dans la section parallèle Cannes Première), En fanfare est une comédie sociale à la française, mariant l’humour à l’émotion, le social et la fragilité de la vie.
Après Un triomphe, Emmanuel Courcol confirme son attrait pour le cinéma social, en s’intéressant à l’importance des fanfares dans les petites communes du bassin minier du Nord de la France. Cette idée lui est venue suite à un séjour à Tour-coing, à l’occasion d’un projet d’écriture, où il a découvert l’ancrage de la musique classique dans la tradition industrielle de la région. Rapidement le cinéaste a pen-sé se faire rencontrer deux mondes. Que se passe-t-il lorsque le monde de la mu-sique classique croise le monde de la musique populaire ?
Thibaut est un chef d’orchestre de renommée internationale. A 37 ans, Thibaut apprend qu’on lui a menti toute sa vie. Il découvre ce mensonge quand lui est diagnostiquée une leucémie. Cette grave maladie nécessite une greffe de moelle épineuse rapide. Thibaut demande à sa sœur de passer le test, espérant qu’elle sera un donneur compatible. Et là il apprend qu’elle ne peut pas le sauver et qu’elle n’est pas sa sœur. Thibaut a été adopté et il a un frère biologique Jimmy, employé de cantine scolaire. Thibaut part à la recherche de son frère. De leur rencontre va être le début d’une relation étonnante, complexe et touchante
En apparence tout les sépare, c’est un véritable choc des cultures lorsque les deux hommes se rencontrent. Thibaut a grandi dans la bourgeoisie policée et sophistiquée des Hauts-de-Seine et Jimmy, son frère biologique, a eu une enfance modeste dans la banlieue de Lille où il a été recueilli par une femme aimante et
Cependant la musique les rapproche, Thibaut s’intéresse à la musique savante des philharmonies du Monde, tandis que Jimmy est tromboniste dans une fanfare du nord de la France. Apprenant les raisons de leurs retrouvailles, une fois la nouvelle digérée, Jimmy accepte d’être son donneur, lui permettant de se soigner et, en quelques mois, de savourer une rémission inespérée.
Thibaut se sent presque redevable, au-delà du geste d’altruisme de Jimmy, vis-à-vis duquel il culpabilise. Pourquoi n’a-t-il pas grandi avec eux ? Pourquoi lui, Thibaut, a-t-il pu profiter d’une enfance confortable et aisée, faire des études et vivre de sa passion, et pas son frère ? Détectant les capacités musicales exceptionnelles de son frère, Thibaut se donne pour mission de réparer l’injustice du destin. Jimmy se prend alors à rêver d’une autre vie…
Dans ce troisième long métrage, Emmanuel Courcol continue d’explorer les thèmes du déterminisme social, la maladie, le don de soi, les liens fraternels et l’adoption. Il s’intéresse aussi au thème de la résilience, tout en mettant en lumière la puissance unificatrice de la musique. Il nous fait découvrir petit à petit comment l’écoute musicale et l’écoute fraternelle se conjuguent entre Thibaut et Jimmy. En tentant de réhabiliter la carrière de son frère, Thibaut retrouve un sens à son existence.
En fanfare s’inscrit dans la veine du cinéma social britannique, on pense forcément à Billy Eliott, Les virtuoses, et à la filmographie de Ken Loach.
La fanfare de Walincourt, la chanson de Charles Aznavour, l’orchestre, le jazz sont autant de genres musicaux qui se mêlent dans un éclectisme parfait pour notre plus grand plaisir.
Sensible, réaliste et juste, l’œuvre doit aussi sa réussite à son excellent casting. Les deux interprètes principaux sont excellents et s’amusent avec toute une palette d’émotions, de la joie à la tristesse en passant par la colère sans jamais tomber dans l’exagération.
Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures
Leurs enfants après eux
Réalisateurs : Ludovic et Zoran Boukherma
Genre : drame
Nationalité : France
Distribution : Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayid El Alami, Gilles Lellouche, Ludivine Sagnier
Durée : 2h16 mn
Sortie: 4 décembre 2024
Jeunesse désœuvrée, affres du désir, fracture sociale… les frères Boukherma adaptent avec justesse l’atmosphère émouvante du roman de Nicolas Mathieu, de Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux, lauréat du prix Goncourt 2018.C’est une plongée dans la France périphérique des années 90, dans une région indus-trielle socialement sinistrée, «la France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans, comme le décrit l’éditeur Actes Sud» ainsi que dans les errements de l’adolescence.
Eté 1992. Anthony,14 ans s’ennuie. Avec son cousin, il va sur une plage isolée, connue pour abriter des nudistes. Ils y rencontrent deux amies dont Stéphanie qui les invite à une fête le soir même. Le seul moyen de s’y rendre, c’est d’emprunter en cachette la moto du père d’Anthony, un homme colérique et sévère. Une fois arrivé sur place, Anthony ne réussit guère ses manœuvres mala-droites de séduction à l’égard de Stéphanie. Il attire par contre l’attention en provoquant Hacine, un jeune de la cité venu s’incruster à la fête. Au petit matin, au moment de partir, Anthony découvre avec horreur que la moto de son père, ouvrier dans un secteur sidérurgique laminé, a disparu. En panique, sa mère lui enjoint de tout faire pour retrouver celle-ci, avant que son père ne s’aperçoive qu’elle a disparu…
Le scénario du film traite de déterminisme social au travers d’une histoire de pas-sage à l’âge adulte qui tracera les destins de trois principaux personnages, An-thony, fils d’ouvrier, Hacine, son ennemi d’un temps, fils d’immigré maghrébin, reflet de la montée du racisme dans les milieux populaires, et Stéphanie, plus fa-vorisée socialement.
Les cartons, qui rappellent les chapitres du livre, indiquent que le film est constitué de 4 parties, qui se déroulent durant 4 étés : été 1992, été 1994, 14 juillet 1996 et été 1998. Les quatre parties partagent la même atmosphère estivale, mais on pourra remarquer qu’elles ont des durées et des temporalités inégales : la partie “été 1992” occupe presque la première heure du film et sa narration s’étend sur plusieurs semaines alors que les parties suivantes sont plus courtes et racontent des événements plus resserrés (quelques jours en 1994, une journée en 1996, quelques jours à nouveau en 1998). Quatre chansons rythment chaque partie : Smelles like teen spirit, You could be mine, La fièvre et I will survie.
D’été en été, le film entraîne ses personnages vers une spirale d’affrontements et de règlements de comptes pour les jeunes, et vers des relations familiales chao-tiques pour les plus âgés.
Dans la première partie (été 1992) est dressée un tableau de l’adolescence : oisi-veté, volonté d’échapper à l’ennui, recherche de sensations fortes (vitesse, ivresse, musique…) de nouvelles expériences (découverte de l’amour et de la sexualité) et désir de liberté et d’autonomie.
L’écrivain Nicolas Mathieu explique dans un interview sa volonté d’écrire un roman d’apprentissage, l’histoire d’une poignée de personnages qui passent de l’enfance à l’âge adulte. « J’avais dès l’origine l’idée de ne raconter que les étés et de laisser une grande place à des ellipses, une partie inconnaissable de leurs destins qui serait laissée à la charge du lecteur. Pour raconter ces adolescences, le plus simple était pour moi de me référer à ma propre expérience. Ces choix sont donc au départ pratiques, puis ils correspondent à une volonté artistique (les étés, la chronologie répétitive et lacunaire) et in fine, à force, je me suis mis à raconter l’histoire d’une décennie et d’une génération ».
En effet Leurs enfants après eux capte pleinement les états d’âme de l’adolescence et restitue parfaitement l’atmosphère d’une ville ouvrière laissée en jachère par la fin de l’exploitation minière et sans grand avenir pour sa jeunesse, sans pour au-tant chercher le naturalisme.
Anthony et Hacine sont des enfants de la classe ouvrière frappée par la désin-dustrialisation. Le père d’Hacine est un immigré marocain, ce qui le sépare géo-graphiquement et socialement : la classe ouvrière blanche occupe les cités ou-vrières historiques, tandis que les ouvriers immigrés et leurs enfants habitent dans les grands ensembles plus récents. Stéphanie est issue de la bourgeoisie. Les per-sonnages se heurtent aux barrières sociales. Hacine fait l’expérience du racisme et du chômage. Anthony aime une fille qui se dérobe à lui car elle n’est pas de son milieu social.
Stéphanie aussi rencontre le fossé social et culturel qui la sépare de la grande bourgeoisie parisienne. On pourra noter qu’à travers ce personnage le romancier Nicolas Mathieu retranscrit sa propre expérience d’étudiant de la classe moyenne provinciale monté à Paris pour ses études, expérience qu’il a évoquée dans de nombreuses interviews.
Les trajectoires d’Anthony et Hacine sont parallèles. Ils viennent d’un milieu ouvrier tous les deux, se croisent au collège, sont tous les deux en butte à la violence paternelle. Leur rapprochement se produit symboliquement le jour d’un match victorieux de l’équipe de France, qui abolit les barrières habituelles et fond les Français dans le même creuset social (on se souvient de l’utopie d’une France réconciliée autour de son équipe « black-blanc-beur »).
Au-delà de nombreux sujets tels que les classes sociales, la xénophobie, la délinquance, le film relate également les relations d’Anthony avec ses parents, notamment son père, capable d’accès de violences incompréhensibles sous le regard d’une mère passive et « dépassée » par la situation. Ses parents se disputent, son père boit trop et peut être soumis à des accès de violences incompréhensibles sous le regard d’une mère passive et dépassée. Le père et le fils sont distants, c’est une relation « sans mots ». Ils ne parlent jamais ensemble, ou si peu quand le père s’adresse à son fils, celui-ci ne lui répond pas. De plus, ils connaissent une succession de rendez-vous manqués. On sent cependant que c’est un homme blessé qui a remisé ses rêves de jeunesse, symbolisés par cette moto qui prend la poussière sous une bâche dans le garage. Ce père a un vrai amour pour son fils, qui transparaît dans les scènes de tendresse au début du film (1992), dans son empressement à le défendre de la violence de Hacine (1994), ou dans sa douleur de ne plus le voir (1996). Mais il est porteur d’une violence qui s’exerce à la fois contre les autres et dont Anthony est obligé de se protéger. Cette violence peut s’expliquer comme la résultante d’une violence sociale : l’épreuve du chômage et de la relégation, consécutives à la fermeture des usines.
Dans le film la violence des jeunes est en effet largement co-occurrente de pro-blèmes familiaux, personnels et liés au développement montrent par exemple que la prise en compte des parcours scolaires émaillés d’échecs et des difficultés familiales, plus répandus dans les milieux populaires, ainsi la séquence qui fait d’abord penser à un duel de western, avec ses personnages qui se font face dans cette longue allée (qui peut faire penser à la rue principale d’une ville de l’Ouest américain). Les cinéastes utilisent ici le format large de l’écran pour faire un clin d’oeil au cinéma américain. La poursuite de la scène, face à face plein de tension entre Hacine et Anthony, évoque, elle, les thrillers plus contemporains.
Dans un univers marqué par la violence de pères relégués et humiliés à cause du chômage, les personnages féminins apportent un espoir : la mère d’Anthony est ainsi une véritable alliée qui le protège de la violence du père, et lui conserve sa tendresse
Le film des frères Boukherma accorde une place importante à la musique. En effet, il suffit d’attendre quelques secondes pour que retentissent les premières notes de « Run to the Hills » d’Iron Maiden. Viendront ensuite quantités de tubes de l’époque, de Gun’s roses à Metallica en passant par Jean-Jacques Gold-man et Francis Cabrel.
Le titre du roman, ainsi que du film, est intéressant à expliquer, il accrédite l’idée d’une inexorable reproduction sociale. Ce titre est tiré d’un extrait du Siracide qu’on peut lire en épigraphe du roman, c’est le nom hébraïque de l’Ecclésiaste, livre de l’Ancien Testament qui aurait été écrit par Ben Sira le sage) : « Il en est dont il n’y a plus de souvenir, / Ils ont péri comme s’ils n’avaient jamais existé ; / Ils sont devenus comme s’ils n’étaient jamais nés, / Et, de même, leurs enfants après eux ». (Siracide, 44, 9. L). Il exprime l’idée que la reproduction «tel père, tel fils » est la règle et que nous sommes souvent menés à rééditer les vies de nos parents. « Et c’est dans ce train-train là, cette vocation à une certaine obscurité que s’inscrivaient les destinées minuscules que j’allais raconter. Pourtant, en les ramenant à l’Ancien Testament, à des écrits quasi mythologiques, je souhaitais indiquer combien ces destins sont grands à mes yeux, héroïques, combien ils relèvent de ce qui se fait de plus crucial : la condition humaine, la vie que nous avons en partage ici-bas, dans ses douleurs, sa modestie, sa gloire fugace aussi », déclare Nicolas Mathieu.
En racontant les enfants de la désindustrialisation, leur ennui et même leur dé-sespoir, mêlant réalisme social et mythologie adolescente, romantisme et tragé-die, Ludovic et Zoran Boukherma réalisent une adaptation réussie du roman de Nicolas Mathieu.
Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures
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