A l’occasion des cérémonies organisées pour les 80 ans de la Libération de la ville de Montpellier, l’Enclos Saint-François a été le cadre, dimanche 23 juin, de l’hommage rendu à deux prêtres montpelliérains, figures emblématiques de la résistance : l’abbé Charles Prévost, fondateur du lieu et l’abbé Paul Parguel.

L’hommage a débuté par une messe célébrée par Mgr Norbert Turini, archevêque de Montpellier. Au nombre des participants, se trouvaient Michaël Delafosse, maire de Montpellier, et Daniel Knafo, Rabbin de Montpellier.

Homélie de Mgr Norbert Turini, archevêque de Montpellier

Enclos Saint-François, dimanche 23 juin 2024

Hommage aux pères Charles Prévost et Paul Parguel

80ème anniversaire de la Libération de la ville de Montpellier

Sœurs et frères,

Nous commémorons cette année le 80ème anniversaire de la libération de Montpellier : le 29 août 1944. Nous avons voulu croiser cet évènement si important pour l’histoire de notre cité avec deux grandes figures de prêtres qui l’ont marquée: celle de l’abbé Prévost et celle de l’abbé Parguel. Si nous le faisons c’est aussi parce que notre ville elle-même tient à honorer leur mémoire. Merci Monsieur le Maire de le marquer par votre présence.

L’abbé Prévost et l’abbé Parguel représentent deux belles figures de bâtisseurs. L’un a bâti l’Enclos St François où nous sommes et l’autre l’Eglise Sainte Bernadette.
Mais ne nous y trompons pas, ils l’ont fait pas seulement pour édifier de beaux bâtiments, mais dans l’intention d’y abriter leur œuvre éducative, spirituelle, sociale, artistique, humaine et altruiste.
Avec leurs charismes propres, ces deux ecclésiastiques, ont offert à des enfants et à des jeunes un lieu de vie pour promouvoir leur développement intégral : « celui de tout homme et de tout l’homme » comme l’écrivait le Pape St Paul VI dans son encyclique Popularum progressio.

Plus que des constructeurs, ils ont été l’un et l’autre des modèles d’éducateurs. Ils ont tout donné d’eux-mêmes : leurs charismes, leur intelligence, leur foi, leurs compétences, leur vie à ceux qu’ils accueillaient.
Ils l’ont fait, non pour une vaine gloire ou par orgueil, mais parce que leur vocation humaine et spirituelle les poussait à cette impérieuse nécessité de se consacrer totalement à la croissance et à l’épanouissement de la jeunesse, dans toutes ses composantes : humaine, spirituelle, intellectuelle, culturelle, sociale.
Ils furent dans ce domaine avec leurs talents propres des précurseurs pour ne pas dire des visionnaires.Dans son programme éducatif, l’abbé Prévost développait l’apprentissage de la responsabilisation de chacun, la culture artistique, les voyages, la liberté d’esprit. C’était la pédagogie de l’esprit libre qu’il était.

Le même Pape St Paul VI lors d’une audience générale le 2 octobre 1974 lança cette parole devenue célèbre : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres c’est parce qu’ils sont des témoins ».
Nous recueillons dans cette célébration eucharistique, ces deux belles figures de témoins, non comme des hommes du passé, mais comme des inspirateurs pour aujourd’hui, des maîtres qui ont engendré des générations de jeunes : des jeunes volontaires, disciples de leur enseignement, ouverts sur le monde, capables de s’adapter et non d’abdiquer aux mutations rapides de nos sociétés.
Des jeunes capables de se maintenir dans le sens de la vie, avec le discernement nécessaire, dans l’esprit des paroles que l’Apôtre Paul adresse aux Corinthiens 6/12 : « Tout m’est permis » dit-on, mais je dis : « Tout n’est pas bon ». « Tout m’est permis », mais moi, je ne permettrai à rien de me dominer ». Voilà le gage d’une vraie liberté, héritage de ces deux témoins qui demeurent des maîtres aujourd’hui encore et qui n’ont eu d’ambitions que pour les autres.

Que dire de la foi de ces hommes d’Eglise ? Est-elle périphérique à l’œuvre qu’ils ont créée ? Non elle en est la source
Mais entendons-nous : une foi désincarnée, déconnectée, évanescente n’intéresse personne. Leur foi était active, éclairée, vivante, combattante, plantée dans leur chair, enracinée dans leur âme et leur esprit, comme ce combustible spirituel qui animait toute leur vie, toutes leurs actions, une foi créative et porteuse de projets. Une Foi force de propositions qui les aidait à déterminer leurs choix, mais aussi les décisions nécessaires et souvent difficiles qu’ils avaient à prendre. Une foi qui n’avait pas peur d’affronter les tempêtes de la vie, qui ne craignait pas les éléments déchaînés des crises de toutes sortes qui menacent de submersion l’humanité. Comme Jésus au milieu des flots en furie, ils savaient rester sereins et pacifiant, toujours debout, faisant face à toutes les bourrasques de l’existence.

Le centre de leur vie n’était pas en eux-mêmes. Ce Dieu devenu homme en Jésus Christ, les avait suffisamment décentrés d’eux-mêmes pour qu’ils comprennent que toute leur œuvre était un acte d’amour pour le bien et le bonheur des autres. Ils portaient en eux cette certitude que si Dieu a pris chair en Jésus-Christ, ce n’est pas pour juger l’humanité ou la condamner, mais pour la sauver.
Cela ils l’ont compris aux heures noires de la guerre, quand concrètement pour l’abbé Prévost, il fallait sauver des enfants juifs ou, comme l’abbé Parguel, entrer en résistance, au risque de la déportation, contre la barbarie nazie, lutter contre cette déshumanisation destructrice.

Ici même, à Palavas dans la colonie qu’il possédait, au sanatorium St Roch, l’abbé Prévost accueillit les enfants juifs que Madame Zlatin, la « dame d’Izieu » lui amenait dès avril 1942 pour les soustraire au camp d’internement. Ils partirent ensuite à Izieu d’où ils furent déportés vers les camps de la mort en Allemagne le 6 avril 1944.
Ici, je me permets de citer Jean Castex alors premier ministre. Le 16 juillet 2021 devant la Maison D’izieu faisant mémoire des 44 enfants juifs, envoyés à Auschwitz. Il déclarait :
« Sabine Zlatin a placé sa confiance en la personne d’un homme, un prêtre, l’abbé Charles Prévost. Tout aurait dû séparer la juive d’origine polonaise de ce fervent catholique issu de la grande bourgeoisie locale, mais c’était compter sans l’esprit d’humanité. Alors le 2 avril, Sabine Zlatin descend à Montpellier pour l’appeler à l’aide. Il a déjà lui-même caché de nombreux enfants dans l’orphelinat qu’il a fondé et jusque dans sa maison de Palavas les Flots. Le premier ministre poursuit : quand il s’agit de sauver la vie d’enfants, il n’y a plus un catholique et une juive. Il n’y a plus un prêtre et une assistante sociale, il n’y a plus un grand bourgeois et une réfugiée, il y a tout simplement un homme et une femme de bien ».

Hommes d’Eglise, l’abbé Prévost et l’abbé Parguel le furent, en faisant le bien.

La foi n’enlève rien à notre humanité, au contraire elle l’enrichit, elle l’humanise de la présence et de l’amour de Dieu et, dans ce contexte tragique de la guerre, elle la réveille. Dans la foi, puisons la force, l’énergie, de lutter partout et toujours contre les tentations jamais inassouvies de toutes les formes de barbarie. Le monde dans lequel nous vivons n’en est pas exempt, nous le savons.
Si la violence et le mal sont toujours armés pour menacer, agresser, anéantir et tuer, le bien comme l’amour, à mains nues, vont toujours au bout de ce qui est possible pour libérer et sauver ce qui semblait perdu et faire grandir et gagner la vie.

En ce sens Paul Parguel et Charles Prévost par la force de leur engagement humain et religieux nous appelle à être des veilleurs et des éveilleurs de vie afin que la culture de mort, ne l’emporte jamais sur la culture de vie. Ils sont passés chez nous en faisant le bien. Puissions-nous être, en ce sens, leurs dignes héritiers. AMEN