Perfect Days

  • Réalisateur : Wim Wenders
  • Distribution : Koji Yakusho, Tokio Emoto                                                         
  •  Genre : drame
  •  Nationalité : japonais
  • Durée : 2h05min
  • Sortie : 29 novembre 2023

 

C’est  le retour de Wim Wenders, qui  n’avait pas tourné de fiction depuis six ans, au Festival de Cannes, où il reçut la palme d’or en 1984 pour Paris Texas. L’acteur Kōji Yakusho a obtenu le Prix d’interprétation masculine pour son rôle dans ce nouveau film de Wenders  et Perfect days a reçu le prix du jury œcuménique.

Wim Wenders a déclaré être «très ému de recevoir ce prix parce qu’en effet, on a fait, pour ainsi dire, un film spirituel». Perfect Days «parle d’un homme pour qui tous les autres, toutes les plantes, tous les arbres et surtout la lumière sont sacrés».

 

Dans la trempe des films qui ont été réalisés par amour, l’amour de l’existence, l’amour de l’art et des petits plaisirs quotidiens, Perfect Days est une sublime ode à la vie.  Touchant et bercé par un sens de la contemplation du quotidien, Perfect days est  un film minimaliste et teinté de musique rock des années 60, où le bonheur s’expérimente dans le goût des choses simples. Le titre de ce long métrage est donné par la chanson célèbre de Lou Reed.

Perfect Days est né d’une commande passée à Wim Wenders par la municipalité de Tokyo autour des toilettes publiques du quartier de Shibuya. Plutôt que de tourner le court-métrage initialement prévu, le cinéaste passionné par le Japon (il avait tourné 35 ans plus tôt, Tokyo-Ga, un documentaire en hommage à Ozu) a réalisé une fiction centrée sur le quotidien d’un agent d’entretien, salarié de la société The Tokyo Toilet. 

Ce chef d’œuvre cinématographique est un bijou doté de nombreux attributs poétiques. Le réalisateur nous transmet un puissant récit sur l’espoir, la beauté et la transfiguration dans le quotidien de nos vies. A travers la vie de Hirayama, un homme dont le travail consiste à nettoyer les toilettes publiques au Japon, qui vit seul, aime la nature, la lecture et la musique, nous discernons progressivement la perfection souterraine de chaque jour. Avec une grande dignité, il s’épanouit dans son travail, et fait preuve d’un même respect à l’égard des autres et de la nature, qu’il côtoie au fil de ses « jours parfaits ».

 Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. C’est un taiseux, un employé modèle qui aime le travail bien fait. Cependant son passé va ressurgir au gré de rencontres inattendues.

Peu bavard, attentif, sans jugement, généreux, serviable, Hirayama s’épanouit dans une vie simple, et un quotidien très structuré. Il accomplit un travail ingrat, qu’il  n’a pas de honte à faire  à la perfection. Il y trouve un sens profond, philosophique, dans la contemplation de l’instant présent. Consciencieux, il se contente de peu.

Tout est ordonné, tant dans son appartement que dans ses journées rythmées par des rituels bien précis.  Chaque journée est structurée par des habitudes qu’il répète inlassablement  et commence de la même façon : un regard vers le ciel, une boisson, un travail, et de la musique. Lorsqu’il sort de son immeuble pour se rendre au travail, il regarde le ciel et il sourit. Pour sa pause-déjeuner, il se rend toujours dans le même parc, sur le même banc, pour lire un livre et photographier les variations de la lumière dans les feuilles des  arbres.

Hirayama  entretient une passion pour la musique surtout des chansons  rock des années 70 (les Rolling Stones, Otis Redding, Lou Reed, Patti Smith,…Le titre est donné par la chanson célèbre de Lou Reed. En réalité, tout le film est traversé de tubes des années 60-70 qui font la marque de fabrique du récit. …) qu’il écoute  sur de vieilles cassettes audio. Homme cultivé il aime lire, notamment Faulkner, Patricia Highsmith,… Il s’émerveille devant la beauté des arbres qu’il aime photographier.

Si cet homme est un solitaire, il n’est pas malheureux. Par les gestes du quotidien, par l’admiration du mouvement du soleil à travers les feuilles, l’univers  de Hirayama est en harmonie avec son environnement. Attentif au monde qui l’entoure, il en remarque toujours la beauté.

L’attention qu’il porte aux autres alors que ceux-ci l’ignorent fait de lui un homme digne. Invisible parmi les Invisibles, cet homme est transparent à leurs yeux. Mais il n’est même pas du genre à se plaindre. Hiriyama est une belle personne, faisant de chaque journée une réussite selon ses propres mots.

 

Ce film nous entraîne dans les rues de la capitale japonaise, faite de rencontres furtives, d’un quotidien immuable. On ne saura rien de cet homme mutique, de son passé familial visiblement douloureux.

Perfect days est une balade poétique et spirituelle, faisant le portrait d’un homme sans histoire, digne et souriant. L’enjeu de WimWenders est  de montrer que le bonheur se trouve dans les choses simples de la vie. En effet, le bonheur  pour Hirayama n’est ni dans le paraître, ni dans l’argent, ni dans l’ambition sociale, mais dans les petits riens du quotidien. C’est seulement une joie de vivre qui se conjugue au présent, avec simplicité et passion.

Avec cette histoire profondément sensible et humaine, Wim Wenders nous offre une réflexion émouvante et poétique sur la recherche de la beauté dans le quotidien. La mise en scène est délicate et rend sensible le quotidien de cet homme.

Grâce à un style naturaliste,  un rythme lent et contemplatif, le cinéaste capte la douceur de la lumière naturelle à la perfection. Le film montre la beauté du quotidien dans sa plus grande simplicité vie. Tout est beau dans ce film : les plans de Tokyo, la musique, la bienveillance de Hirayama, son visage et ses sourires,  les regards portés par le héros sur le monde.

 

 

Le sentiment qui imprègne les  films de Wenders est que chaque chose et chaque personne sont uniques, que chaque moment ne se produit qu’une seule fois, que les histoires quotidiennes sont les seules histoires éternelles.

 

Ode à l’ici et maintenant, Ode à la nature, ode à la vie, ode à la poésie du quotidien, ode à la sérénité, Wim Wenders signe  un film lumineux.  Deux ans après la covid, le cinéaste allemand fait le choix de rappeler nos fondamentaux : profiter de la vie, profiter de ce que nous offre le monde.

 

 

Et la fête continue !

    • Réalisateur : Robert Guédiguian
    • Genre : drame, Politique, Film choral 
    • Nationalité : France
    • Distribution : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Lola Naymark, Alicia Da Luz Gomes, Grégoire Leprince-Ringuet et Robinson Stévenin
    • Durée : 1h46mn
    • Sortie : 15 novembre 2023

«Il faut affirmer sans cesse que rien n’est fini. Que tout recommence», fait dire Robert Guédiguian à ses personnages à la fin de Et la fête continue!  Avec ce vingt-troisième film, Robert Guédiguian retrouve la chaleur de son soleil marseillais et sa famille  de cinéma : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, auxquels se joignent quelques acteurs de la nouvelle génération : Lola Naymark, Alicia Da Luz Gomes, Grégoire Leprince-Ringuet et Robinson Stévenin.  Une fois de plus, cette œuvre repose sur une complicité établie avec les spectateurs au fil du temps et déploie des variations sur des motifs familiers: le militantisme, les conflits internationaux,  la solidarité, la transmission,  la dénonciation de la misère sociale,  la place de la famille,  l’engagement politique, l’Arménie meurtrie et la fragmentation suicidaire de la gauche.    

Le film s’ouvre avec les images d’archives du lundi 5 novembre 2018, lorsque trois immeubles de la rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles à Marseille, s’effondraient. Causant la mort de huit personnes et révélant la défaillance de la politique d’urbanisme de la ville, ce malheureux événement incita des associations à manifester pour l’obtention de logements salubres pour tous.  «Cet effondrement est une métaphore de notre manière traditionnelle d’envisager l’action collective. C’est ce dont je voulais parler, et pour le faire à travers un film, il faut trouver une forme : pour cela, j’ai recours à des voix intérieures, des monologues, des flash-back, des souvenirs, des rêves, de la variété, à ce qui s’apparente presque pour moi à du théâtre musical. C’est pour cela que je parle d’agitprop. Et le lien entre toutes ces formes qui donnent forcément quelque chose d’éclatée est à chercher autour d’une histoire de famille, d’un personnage principal, qui provoque de la générosité autour d’elle, qui est comme porteuse d’une forme d’aura magnétique qui améliore le sort de ceux qui l’entourent ». Et puis le récit enchaine sans transition sur des visages radieux : nous dans une église  où des choristes chantent du Charles Aznavour.

Rosa, personnage solaire et fédérateur de cette communauté, conjugue tout à la fois culte de la famille et solidarité envers les plus démunis. Elle   est infirmière dans un hôpital qui manque de moyens au point de décourager les nouvelles recrues. Minas, son second fils, médecin prend soin des migrants parqués dans les camps de rétention dans l’indifférence générale. Tête de liste aux prochaines élections municipales, Rosa  ne peut que constater la désunion des partis politiques plus préoccupés par l’affirmation de leur pouvoir que par l’intérêt collectif… Et puis, alors qu’elle ne l’attendait plus, elle retrouve l’amour.

Malgré son aspect choral, le film dresse le portrait en miroir de deux femmes, à deux âges de la vie: Rosa, veuve de 60 ans, infirmière proche de la retraite,  militante et amoureuse  et Alice,  femme pétillante,  croyant à la solidarité et cheffe de chœur dans une association aidant les personnes délogées.

Guédiguian a 70 ans. Sa  jeunesse a eu un pied dans le militantisme des années 1970 et un autre dans les désillusions des années 1980. Bien que n’ayant cessé de résister, à travers ses films, il n’a pu que constater l’avènement d’un monde diamétralement opposé à son idéal et à ses valeurs. Robert  Guédiguian entrelace dans Et la fête continue le politique et l’intime, et  questionne le sens des valeurs, entre désillusion et résistance.  Pour  le réalisateur, cela passe par une attention particulière portée à la jeune génération et en même temps en se  concentrant  sur la beauté de ce que peuvent encore produire les initiatives locales à l’échelle du couple, de la famille, du quartier.

 Dans un monde dominé par l’égoïsme, le cinéaste affirme que seule la force de la poésie et de l’amour sous toutes ses formes permettra d’oublier les désillusions politiques et de surpasser les drames.  On se serre les coudes, deux à deux, tout en continuant de cultiver l’esprit de troupe.  Chacun se débat, se décourage et lutte pour conserver sa raison d’être.

Le film navigue  entre deux mondes, politiques ou personnels, entre rêves et désillusions, jonglant entre optimisme et pessimisme, pour nous offrir une fin solaire. Avec Et la fête continue ! Guédiguian  retrouverait-il  foi en la lumière? La vie continue, la fête continue…

 

 

Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures