
Jardin d’été
Réalisateur(s) : Shinji Sômai
Nationalité : Japon
Distribution : Rentaro Mikuni, Naoki Sakata, Taiki Oh, Kenichi Makino, Chikage Awashima
Durée : 1h54 mn
Sortie : 2025 (en France)
Adapté d’un roman jeunesse de Kazumi Yumoto (Les Amis, 1992), le film met en scène trois garçons d’une dizaine d’années, vivant à Kobe, Yamashita, Kiyama et Kawabe, qui, à l’approche des grandes vacances, se questionnent sur la mort et cherchent à voir un cadavre. Ils décident d’espionner un vieil ermite clochardisé, Kihachi Denpo, vivant dans une maison délabrée entourée d’un jardin en friche, en plein cœur d’une banlieue. Se figurant que les jours du vieil homme sont comptés, les enfants l’observent, le suivent, et passent la palissade fissurée pour pénéter dans le jardin. Et s’il mourait, sans que personne ne s’en aperçoive? se demansent-ils.
Petit à petit, les trois garçons et le vieil homme se lient d’amitié. Ils décident de retaper sa maison, défricher son jardin, lui redonner le goût de vivre et de s’intéresser à nouveau au monde, à la nature, aux autres.. Ils vont aussi apprendre les secrets et les douleurs d’un homme. Commence alors la plus touchante, la plus lumineuse et délicate des relations, entre les deux bords de la vie, mais aussi entre deux Japon, le nouveau et l’ancien, profondément marqué par la guerre. Et ce jardin d’été sera leur terrain de jeu le temps d’un été inoubliable.
Avec Jardin d’été, on se remémore ces contes de l’enfance qu’Ozu nous avait offert avec Gosses de Tokyo, puis avec Bonjour. Jardin d’été est un film « d’apprentissage ». Sômai capte cet âge des possibles et des métamorphoses que sont l’enfance et la prime adolescence, thèmes de prédilection de ce cinéaste virtuose. Jardin d’été est un film d’enfants, un film sur l’enfance, sur les questionnements et les ruses psychologiques des enfants devant la complexité de la vie et de la mort. C’est la rencontre de la jeunesse, pleine de vie et d’enthousiasme, et de la vieillesse pleine d’expériences, de souvenirs douloureux et d’une forme de sagesse. La grande affaire de Somai, c’est l’enfance corrélée aux angoisses adultes.
Hanté depuis des décennies par ses propres visions de mort, le réalisateur n’ignore pas la tristesse. Il la met en scène, la dévoile et la capte dans des regards et dans la façon dont ses personnages vivent dans son film. Si la question de la mort plane sur ce groupe de copains, aucune obsession ou angoisse ne se voit et se lit dans le film, c’est seulement le fait que tous les enfants ont besoin de se confronter à l’absence, à la fin. Il est question de vie et de mort, de résurrection et d’oubli, de réparation et de délabrement.
En se liant d’amitié avec le vieillard, les enfants lui insufflent une nouvelle vie. Ils transforment sa maison en théâtre : théâtre de leurs jeux d’enfants, mais aussi, dans lequel renaissent les souvenirs du vieil homme. Ainsi dans une magnifique scène, les enfants écoutent le vieil homme raconter sa vie, leurs visages se reflétant dans les fenêtres de la maison qu’ils ont contribuées à réparer.
A travers ce récit poignant et lumineux, Shinji Sōmai interroge les complexités de la société japonaise, de sa culture et, par ce biais, pose des questions profondément humanistes.
Véritable célébration de l’été, de l’enfance, de la joie, du rapprochement entre générations et de l’aventure, le onzième film de Sômai se termine comme il a commencé : « suspendu dans la lumière, la pluie derrière, la vie devant. »
Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures

Peacock
Réalisateur(s) : Bernhard Wenger
Nationalité : Allemagne
Distribution : Albrecht Schuch, Julia Franz Richter, Branko Samarovski
Durée : 1h42 mn
Sortie : 2024
Ce long métrage est une comédie tragique aussi drôle qu’absurde, qui explore un phénomène fascinant et méconnu tout droit venu du Japon : la location de personnes pour jouer des rôles sociaux, familiaux ou professionnels.
Pour ce faire, le cinéaste se rend au pays du soleil levant en 2018 et y rencontre des employés de ces agences spécialisées. Devenues très populaires depuis une vingtaine d’années, elles avaient pour vocation d’aider les personnes confrontées à l’isolement et à la solitude. Aujourd’hui, on peut y louer une personne pour améliorer son image ou manipuler quelqu’un. Bâti sur la base de cette idée étonnante ce premier long-métrage du réalisateur autrichien Bernhard Wenger nous fait réfléchir sur la sincérité des relations humaines.
Quel drôle de métier? L’agence MyCompanion fournit des amis à louer. Membre de l’agence, Matthias, trentenaire au physique avenant, est un des meilleurs éléments de cette entreprise. Il est convainquant dans tous les rôles qu’il incarne. Il se fait louer par des gens pour interpréter la personne de leur choix : l’ami cultivé dans une soirée musicale, l’ami héroïque sur un terrain de golf, un fils modèle d’un homme souhaitant être élu président d’une organisation, un père aviateur pour un gamin souhaitant enjoliver son exposé en classe, un mari d’une femme qui n’ose encore parler à son véritable mari et souhaite répéter ce qu’elle va lui dire. Ses prestations sont appréciées à leur juste valeur. Il y met du sien, du cœur.
Matthias inspire la sympathie. Tenues classiques, cheveux peignés en arrière et moustache bien brossée. Matthias incarne bien le titre du film qui veut dire paon, un animal-totem qui ne semble exister que pour briller aux yeux des autres. Ainsi est Matthias.
Si il est protagoniste dans sa vie professionnelle, il ne l’est pas dans sa vie conjugale et personnelle. En privé, il ne fait pas l’effet d’avoir beaucoup de personnalité. Même dans l’intimité de son couple, il s’efface derrière l’image de lui-même qu’il élabore pour les autres. Il ne sait plus qui il est. Plus rien n’a de sens, et la paranoïa s’installe.
Si ce film démarre dans la drôlerie, avec du comique de situation, il va montrer une tonalité plus tragique, quand le travail de Matthias finit par gagner tout son être, modifiant dangereusement son rapport au monde et à la réalité.
Peacock prend pour sujet l’uniformisation du soi, certes, mais c’est dans sa mise en scène de la déshumanisation que le film trouve sa véritable originalité. Avec ce film, Bernhard Wenger analyse la solitude et l’isolement, la marchandisation des rapports humains, ou encore la cannibalisation de nos vies par les réseaux sociaux. Le film sonde plus largement la sincérité des rapports humains. Dans quelle mesure joue-t-on un rôle, qui sommes-nous vraiment, offrons-nous à ceux qui nous entourent la version la plus sincère de nous-mêmes ? Mathias parviendra-t-il à tomber le masque pour faire exister sa vérité ? C’est ce que ce film intrigant nous invite à découvrir dans une mise en scène extrêmement soignée, avec des cadrages parfaitement symétriques.
Signalons que ce film a obtenu le prix du public au Festival de Venise en 2024 et le réalisateur ne tombe pas dans la facilité du récit de la standardisation de nos habitus. Dans Peacock, la vie devient un théâtre, et les relations une performance.
Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures
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