About Kim Sohee

  • Réalisateur : July Jung
  •  Genre : drame
  •  Nationalité : Corée
  •  Distribution : Doona Bae, Kim Si-eun
  • Durée : 2h17min
  • Sortie : 5 avril 2023

    Dans About Kim Sohee, présenté à la Semaine de la critique en 2022 à Cannes, la cinéaste July Jung  s’inspire d’un fait divers survenu en 2016 en Corée du Sud. Une lycéenne voit ses danses, ses rires et ses espoirs d’une vie meilleure disparaitre. Cette jeune fille, qui suivait une formation professionnelle dans un centre d’appels pour une grande entreprise de téléphonie, se suicide. Avec ce second long-métrage, July Jung nous propose un film d’enquête et le portrait croisé de deux personnages féminins. La réalisatrice démontre le désastre d’un ultra-libéralisme triomphant, en particulier l’exploitation des stagiaires et la maltraitance au travail, qui détruit l’individu. 

    Sohee est une lycéenne qui choisit une formation professionnelle. Elle commence donc une formation dans un centre d’appel téléphonique, elle doit faire face à la pression de l’entreprise, ainsi qu’à  ses objectifs de performance affichés dans la salle de travail. Sohee découvre cette entreprise sans âme où des jeunes femmes, casque sur les oreilles, sont censées empêcher des clients de résilier leur abonnement Internet, et passent leur temps à supporter les injures de leurs interlocuteurs. Des consignes explicites sont données à Sohee pour remplir sa mission et  dissuader les clients qui souhaitent résilier leur abonnement. Le moral de Sohee décline sous le poids de conditions de travail dégradantes et des objectifs de plus en plus difficiles à tenir… Cette situation est trop difficile à supporter pour la lycéenne qui en meurt. Est-ce un suicide ? Un accident de travail ? L’inspectrice Oh Yoo-jin est en charge de l’affaire. Elle découvre petit à petit que cette disparition n’est pas le fruit d’une fragilité psychologique mais de celui du cadre professionnel.

    Le film s’ouvre sur un long plan séquence montrant la jeune fille répéter inlassa-blement une chorégraphie de K-pop. Ces images prendront un sens différent par la suite, puisque la passion de la danse est l’élément insolite qui relie les deux femmes : Sohee et Oh Yoo-jin.

    Ce film est une réussite. La réalisatrice montre un grand nombre d’inégalités coréennes. Ce long métrage engagé permet   de questionner et de dénoncer la « société du travail ». About Kim Sohee alterne les thématiques : harcèlement, conditions de travail difficiles, sexisme et inégalités de classes. July Yung  radiographie un système économique, qui épuise et détruit  la jeunesse sous prétexte de performance. Voilà le thème dominant  de la première partie du film. Dans une seconde partie, l’inspectrice de police Oh Yoo-jin va marcher dans les pas de la jeune Sohee. Lorsque le corps de la  jeune fille est découvert dans un fleuve, l’inspectrice refuse de classer l’affaire et décide d’enquêter sur l’employeur de la victime. Contre l’avis de sa hiérarchie, elle tente de remettre en cause ce système.

    Ce film est divisé en deux parties habilement imbriquées, qui se répondent et se confrontent, chacune interprétée par une actrice différente. La première se concentre sur Kim Sohee. Elle est pugnace, a du caractère, de la personnalité. Elle doit valider son cursus scolaire, en effet la loi impose aux établissements scolaires d’envoyer les élèves faire un stage. Le directeur lui en  trouve un dans une grande entreprise de télécommunication et lui fait des recommandations, notamment la bonne exécution  de son travail afin de réussir ce stage, la crédibilité de l’école étant engagée. La charge morale est déjà importante quand Kim Sohee arrive dans cette entreprise. Deux évènements vont fortement perturber la jeune fille: son chef de service se suicide en laissant une lettre qui dénonce les pratiques de l’entreprise, et la jeune stagiaire assiste à la volonté des dirigeants d’étouffer l’affaire. Cette première partie analyse brillamment les déviances du management au 21e siècle : individualisation et  déshumanisation du travail, stress, pressions, culpabilisation, humiliation,…  Dans la seconde partie, l’enquêtrice nous entraine dans sa révolte, elle est déterminée à rendre justice. A mesure qu’elle découvre des éléments incriminants qui expliqueraient le geste de Sohee, Oh Yoo-jin nous montre ses propres blessures et devient  « l’élément phare » de la révolte. Ces deux femmes doivent  faire face à deux hiérarchies qui les oppressent.

    « Ce qui arrive à Sohee est un drame. Je l’ai évoqué tout en montrant la nature effroyable de la société dans son ensemble, qui n’hésite pas à souiller la victime pour se dédouaner. C’est aussi tragique et déchirant que la disparition elle-même », explique la réalisatrice.

    Avec ce film magnifique, nous découvrons une histoire à la fois intime et globale, traitant du modèle compétitif coréen. Mélange de polar et de drame social, About Kim Sohee  dénonce l’inertie complice de tout un pays face à sa jeunesse dès lors sacrifiée au sein d’entreprises ultralibérales soumettant ces jeunes adultes à la rentabilité, à la performance. Ce fait a retenti avec beaucoup de bruit en Corée et ce à tel  point que l’entreprise concernée, a dû présenter des excuses et que le gouvernement a pris une loi pour protéger les élèves stagiaires du harcèlement au travail.

Le Principal

  • Réalisatrice : Chad Chenouga
  • Genre : drame
  • Nationalité : France
  • Distribution : Roschdy Zem, Yolande Moreau, Marina Hands, Hedi Bouchenafa, Jibril Bhira
  • Durée : 1h22mn
  • Sortie : 10 mai 2023

     

    Avec Le Principal, inspiré d’une histoire vraie, Chad Chenouga met en place le cadre idéal pour montrer la chute inexorable de son héros : celle d’un homme qui avait tout pour réussir mais qui s’enferme dans son mensonge. Le Principal explore donc la thématique du mensonge et les conséquences qui en découlent, ainsi que les choix moraux qui nous engagent.

    Sabri Lahlali, principal adjoint d’un collège, est un exemple de réussite. Issu des quartiers populaires, il a réussi une véritable ascension sociale.  À force de travail, il va obtenir une mutation bien méritée et tant convoitée. Il  rêve aussi d’un lycée prestigieux pour son fils, qui va bientôt passer le brevet. Alors, pour sécuriser le dossier scolaire de son fils  Naël, Sabri va, pour la première fois, commettre une faute qui pourrait briser sa carrière. Sabri incarne la méritocratie au sein de l’Education nationale. Il est pour le respect des grands principes de l’Education nationale. Il est intransigeant avec les  élèves turbulents  de son établissement qui ont appris à respecter cet homme aussi sévère que juste. Mais il est aussi prêt à les soutenir et les aider.

    Père divorcé, dont l’ex-épouse travaille dans le collège qu’il dirige, Sabri fait preuve de la même rigueur avec son fils, collégien dans son établissement scolaire. Il doit veiller sur son frère Saïd, psychologiquement fragile. Il ne semble pas avoir d’amis, ses relations avec ses collègues de travail sont tendues. C’est un homme  froid, peu sociable  et antipathique, mais  passionné  par la littérature. Il partage cette passion  avec  sa supérieure hiérarchique, une femme attentive et bienveillante, mais  solitaire et qui voit en Sabri, un fils spirituel. A propos de son film, Chad Chenouga  déclare  « je me suis évidemment inspiré de ma propre histoire. Orphelin assez jeune avec un frère fragile, j’ai dû travailler bien plus, en éprouvant du plaisir à vouloir tout apprendre, notamment par les livres. Le savoir et la connaissance m’ont sauvé de la vie difficile dans laquelle j’étais plongé. »

    Cependant, Sabri va vivre une faille profonde, celle du « syndrome de l’imposteur ». Ce principal irréprochable va commettre une faute pour venir en aide à son fils et il va mentir. Par ce mensonge, Sabri se trouve plongé dans une sphère de l’enfermement avec sa supérieure, qui lui dira au moment où ce principal est très fragile  « J’ai inventé un Sabri qui n’existe pas »,  avec son ex-femme, avec son frère Saïd  et avec Naël, son fils. Cette faute compromet son avenir professionnel et, surtout, entraîne son fils dans un conflit de loyauté. Si en règle générale, on valorise le fait d’être un transfuge de classe, qui s’élève socialement,  n’oublions pas l’angoisse de la légitimité. A-t-il droit à la réussite ? Gravir l’échelle sociale ne reviendrait-t-il pas  à trahir sa famille et ses proches ? 

    Les failles de Sabri sont mises au jour par deux personnages : son frère, qui resté dans leur cité de jeunesse, et sa directrice.   Ce sont les scènes avec ces deux personnages qui sont les plus touchantes : Les scènes entre la principale en fin de carrière et son disciple, où l’amour partagé de la littérature dissimule autant d’admiration réciproque que de mal-être, et la séquence où les deux frères jouent au ni oui, ni non, devant la tombe de leur mère. « J’ai longtemps été le tuteur légal de mon frère fragile. Très souvent lorsque j’allais sur la tombe de ma mère au cimetière de Montmartre, mon frère me faisait le coup de me faire rire, pour nous réconforter très probablement » dit le réalisateur. Dans le film Sabri ne sourit vraiment qu’avec son frère pendant  le jeu du ni oui ni non. 

    Le principal se révèle juste dans sa description de la vie scolaire et dans le portrait d’un transfuge de classe qui a tout fait pour fuir son milieu d’origine mais qui, par un acte absurde, s’empêche inconsciemment de réussir. Chad Chenouga mêle des éléments de son parcours personnel à des faits réels pour développer des thèmes tels que la méritocratie, l’intégration et la soif d’excellence, à travers le portrait d’un homme prêt à toutes les compromissions pour préserver son statut et offrir le meilleur à son fils. Le Principal  pose les bonnes questions en nous offrant un personnage très complexe, emprisonné dans sa solitude et arrivant à un point de non- retour.

Philippe Cabrol
Chrétiens et Cultures