Broker (Les bonnes étoiles)

  • Réalisatrice : Hirokazu Kore-eda
  •  Genre : drame
  •  Nationalité : japonaise
  •  Distribution : Song Kang-Ho, Dong-won Gang, Doona Bee
  • Durée : 2h09mn
  • Sortie : 7 décembre  2022

Quatre ans après avoir reçu la palme d’or pour son très beau film Une affaire de famille, Hirokazu Kore-eda vient de recevoir au 75ieme festival de Cannes, le prix du jury œcuménique pour Broker (Les bonnes étoiles). L’acteur principal Song Kang-ho y a été couronné du prix du meilleur acteur.

Broker est le second film de Hirokazu Kore-eda qui a été tourné hors du Japon, le tournage a eu lieu en Corée du Sud. Le cinéaste n’abandonne pas le thème central de toute sa filmographie: la famille.
Le film débute par une scène très forte et surprenante : sous la pluie, une jeune fille se dirige vers une église à Busan. Elle dépose l’enfant devant une baby boxe, littéralement boite à bébé, ces boites qui permettent d’abandonner un enfant de manière anonyme. Le bébé est récupéré illégalement par deux hommes, bien décidés à lui trouver une nouvelle famille. Lors d’un périple insolite et inattendu entre Busan et Séoul, la vente du bébé va se transformer en voyage, dans un van en mauvais état. Ce van va devenir l’occasion de rapprochement, de complicité, de liens de solidarité et d’amitié entre quatre personnages: les deux revendeurs d’enfants, la jeune maman et un petit orphelin devenu passager clandestin. Les liens se nouent au fur et à mesure que tous apprennent à se connaître et dévoilent leurs blessures intimes. Ces personnages illustrant chacun un rapport à la filiation, nous pouvons à juste titre nous demander si nous n’assistons pas à la « reconstruction » d’une forme de famille autour de ce bébé abandonné. De toute façon, le destin de toutes les personnes qui rencontreront cet enfant sera profondément changé.

Le réalisateur filme avec une infinie tendresse et une profonde humanité ces êtres qui sont quelque part perdus et qui sont en rupture avec les convenances de la société coréenne. Il porte sur chacun d’eux un regard bienveillant et explore la complexité de leurs sentiments. Beaucoup d’émotions sont présentes dans ce film, certainement une des plus intenses et la scène dans une chambre d’hôtel, où chaque personnage se remercie d’être né. « Je voulais que le film puisse clairement signifier que chaque naissance compte, que chaque vie a sa place » explique le réalisateur.

Comme dans tous les films de Kore-eda, l’émotion est contenue. Avec un sujet décoiffant, Hirokazu Kore-eda réalise un magnifique récit social touchant et nous développe sa foi dans la capacité de l’être humain à rencontrer l’autre et à nouer d’autres liens que ceux du sang. Cette œuvre magnifique nous donne « des ailes vers les étoiles ».

Le jury œcuménique en décernant son prix à Broker a déclaré: « Le film montre de façon très intime comment une famille peut exister sans les liens du sang. Les vies et les âmes sont protégées dans un environnement sécurisant créé par trois adultes et un garçon orphelin autour du bébé, malgré le passé difficile vécu par les protagonistes. Tous doivent affronter leur culpabilité avec toute leur vulnérabilité. Lors d’une conversation touchante entre deux adultes, dont l’un a été abandonné à la naissance et l’autre ayant abandonné son enfant, se dessine une forme nouvelle de  pardon par procuration ».

Philippe Cabrol
Chrétiens et Cultures

Aucun ours

  • Réalisatrice : Jafar Panahi
  •  Genre : drame
  •  Nationalité : iranien
  •  Distribution : Jafar Panahi, Mina Kavani et Vahid Mobasheri…
  • Durée : 1h47mn
  • Sortie : 23 novembre  2022

À l’heure où s’exprime en Iran une révolte sans précédent, courageusement menée par les femmes malgré la répression, sort sur les écrans le nouveau film tourné clandestinement par Jafar Panahi. Placé sous liberté conditionnelle depuis 2010, avec interdiction de réaliser des films et de quitter le territoire, Jafar Panahi a achevé Aucun Ours peu de temps avant d’être incarcéré en juillet dernier pour s’être insurgé contre l’arrestation de deux de ses camarades cinéastes, Mohammad Rasoulof et Mostafa Aleahmad.

Jafar Panahi se montre installé dans une chambre d’une petite maison de village, proche de la frontière turque. À quelques kilomètres de lui, ses assistants s’affairent pour mettre en chantier un film, qui décrit un couple désireux de fuir l’Iran pour la France, grâce à des faux papiers obtenus auprès d’un passeur. Dans le village à la frontière de l’Iran et de la Turquie depuis lequel il dirige son film via Internet, Jafar Panahi est le témoin d’une seconde histoire d’amour empêché. Gozal et Solduz s’aiment, mais la communauté s’y oppose, la jeune femme ayant été promise à Jacob depuis sa naissance. Jafar Panahi va être pris à partie dans le conflit

Tout est dans le titre : Aucun ours est un film sur la peur : celle de voir “l’ours” comme un danger pour sa vie, selon l’expression populaire. Mais lui, Jafar Panahi, n’a pas peur.

Depuis ses débuts, le cinéma de Jafar Panahi sillonne l’Iran pour mieux en montrer les tensions. On retrouve dans ce film le même mouvement, celui d’un déplacement physique sur le territoire même du conflit, qu’il soit intérieur ou extérieur. Le lieu détermine et reflète les contradictions, les oppositions, les tensions internes aux individus et à la société iranienne dans son ensemble. Ce nouveau film ressemble à son réalisateur et à sa manière d’infuser de la fiction dans ses propres histoires. Aucun ours est la rencontre de ces empêchements et de l’urgence de continuer à créer.
Les images sont d’une force et d’une intelligence rares sur la liberté d’expression, sur l’espoir de faire entendre une voix dissidente en Iran et sur la tragédie d’un peuple tout entier pris entre l’étouffement de sa volonté et l’archaïsme de la loi islamique qu’entretiennent les élites.

Aucun ours est un film d’une actualité brûlante. Jafar Panahi est plus que jamais le symbole de la vitalité du cinéma comme art témoin du contemporain et comme outil d’émancipation nécessaire.