Borgo

  • Réalisateur : Stéphane Demoustier
  • Distribution : Hafsia Herzi, Moussa Mansaly, Louis Memmi, Michel Fau, Pablo Pauly, Florence Loiret-Caille
  • Nationalité : France
  • Durée : 1h57min

 

 

Borgo est une petite ville corse, à quelques kilomètres au sud de Bastia . Elle abrite une prison moins surpeuplée que la moyenne et dotée d’un quartier de semi-liberté, l’Unité 2. Une prison où, comme le dit ironiquement la directrice dans le film «ce sont plus les prisonniers qui surveillent les humain». Il y règne une atmosphère qui n’existe nulle part ailleurs. Certains surnomment l’unité « le Club Med », d’autres « l’hôpital » parce que tout y est très silencieux. Les gens ne hurlent pas, se parlent calmement. Les détenus tutoient les surveillants. Tout le monde s’appelle par son prénom. Le fonctionnement de cette prison est unique dans le système carcéral.

C’est, spécifiquement dans ce quartier de semi-liberté, que débarque la surveillante Mélissa pour prendre son nouveau poste, après quelques années passées à Fleury-Mérogis. Et c’est dans un HLM des faubourgs de Bastia que Mélissa, son époux et et leurs deux enfants se sont installés et ils y affrontent le racisme ordinaire de la cité. En parallèle, le commissariat de Borgo doit résoudre à la suite un double meurtre commis en plein jour devant l’aéroport. Le commissaire et son brigadier mènent l’enquête.

Le récit s’inspire d’un fait divers bien réel et non encore jugé, un double assassinat sur deux membres du grand bandistime corse en 2017 à l’aéroport de Bastia. Surveillante de la prison de Borgo et fascinée par l’univers du banditisme, Cathy Sénéchal est accusée d’avoir contribué, par un baiser, à l’assassinat de deux figures du milieu, à l’aéroport de Bastia, en décembre 2017. Stéphane Demoustier a préféré s’en détacher et décrire à travers cette histoire un milieu singulier et saisissant dans lequel une gardienne de prison, se trouve happée par un engrenage fatal vers la criminalité.
À son nouveau poste, Melissa découvre la cohabitation pacifique des clans et l’existence d’un pacte de non-agression qui assure la paix entre les détenus. Elle croise aussi Saveriu, un jeune détenu corse qu’elle a connu à la prison de Fleury-Mérogis, et qui la prend rapidement et taci-tement sous sa protection.
Dans l’Unité 2, les détenus, tous des hommes, tous corses, semblent surveiller les gardiens. La liberté est sacrée, le code de l’honneur aussi. Derrière le visage fermé de la jeune matonne, son professionnalisme et sa rigueur, on découvre une femme sensible, droite qui développe un mélange de fermeté et d’empathie. Hostiles et méfiants au départ, les détenus et Mélissa vont finir par mutuellement s’apprivoiser. A cause de son prénom et d’une chanson, Mélissa décroche le surnom d’Ibiza. Elle a même droit à une version en dialecte local du tube signé Julien Clerc. Elle rend des services, rapporte des cigarettes, procure un ventilateur à un asthmatique. Cela pousse un gentil malfrat qui assure sa protection à lui proposer un marché. La jeune matonne est très vite rattrapée par une réalité, à l’intérieur comme à l’extérieur. Engrenage, dépendance, mensonge… elle se retrouve vite piégée dans une spirale infernale.

«Ici, on n’oublie personne et personne ne nous oublie.». «Ce sont des amis, tu peux leur faire confiance.». Ou encore : «La Corse, tu sais, c’est petit.». « Je n’ai pas besoin de te suivre pour savoir où tu es. ». Ces phrases que Melissa entend ici ou là, à mesure qu’elle s’installe dans sa nouvelle vie près de Bastia, ne disent rien de bon. Elles sont prononcées dans un sourire chargé de menaces.

Entre fiction et réalité, le cinéaste divise sa structure narrative en deux, par le biais d’un montage alterné. De ce fait, le spectateur suit deux récits intimement liés: d’une part, l’arrivée de Mélissa dans le centre pénitentiaire de Borgo; d’autre part, l’enquête menée par un commissaire et un brigadier chargés d’enquêter sur un double assassinat à l’aéroport de Bastia. Alternent alors des scènes de la vie de matonne de Mélissa , et des séquences de l’enquête policière. Une habile construction en flash-back tient les spectateurs en haleine. Il faudra quelques séquences pour s’apercevoir que les lignes temporelles sont savamment disjointes, à la manière d’un Christopher Nolan ou de Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard. Ces deux fils narratifs finiront par se rejoindre, levant ainsi le voile sur des engrenages pernicieux: corruption, chantage, intimidation…

Le début de Borgo s’ouvre sur une fausse-piste et cette séquence d’ouverture pourrait laisser penser que l’enquête policière serait la trame principale ou que le personnage central serait un inspecteur. Mais ce n’est pas le cas, ce qui intéresse Stéphane Demoustier, n’est pas tant la résolution de l’enquête policière que le jeu de bascule de Mélissa à travers ses relations avec certains détenus qui vont jusqu’à préserver par des menaces son bon voisinage au sein de son immeuble. Borgo devient ainsi un film carcéral où l’immersion se révèle à la fois réaliste et singulière. Le réalisateur s’intéresse aussi au portrait de cette matonne dont l’autorité fami-liale, professionnelle, sentimentale est mise à rude épreuve et dont la marge de manœuvre se réduit peu à peu.
Derrière le réalisme de l’univers carcéral, le film développe des thèmes qui viennent nourrir la dramaturgie de son film : la charge mentale qui écrase Mélissa en tant que mère de famille, le racisme, la violence, la pression d’un milieu professionnel fermé et étouffant, le fonctionne-ment et le dysfonctionnement institutionnel, l’instabilité d’une île avec ses règles propres et ses règlements de comptes. Un principe d’enfermement est à l’œuvre dans ce long-métrage et explique le fonctionnement des uns et des autres. Saveriu est conditionné par là où il vit, a grandi, par la manière dont les jeux de pouvoirs s’exercent sur cette île.

Le cinéaste ne tombe pas dans les clichés. Sa description de la vie dans Borgo est subtile. Sa mise en scène relève d’une grande maîtrise, avec des gros plans sur les visages, des arrière-plans flous, des cadres serrés favorisent une réelle et forte tension. La musique est magistrale, voire hitchcockienne. Les acteurs sont remarquables, notamment Hafsia Herzi, qui joue avec subtilité ce personnage paradoxal, seule femme dans un environnement exclusivement mascu-lin. L’image et le son offrent un questionnement sur notre temps, sur la notion d’éthique, et sur notre part d’humanité . La dimension éthique est au coeur du récit. Le film sonde l’âme de Mélissa, son basculement, sa morale, son rapport à la loi. A quel moment devons-nous sortir de la loi pour être moral? A quel moment la loi nous aide à garder le sens de la morale? Voilà des questions essentielles que pose le film.

Borgo est une fiction coup de poing. Nous pourrions à juste titre dans la description de l’univers carcéral penser au film de Jacques Audiard Un prophète, mais dans le film de Sté-phane Desmoutier le pouvoir d’influence au sein de la prison ne repose pas sur un homme âgé mais sur un jeune homme au visage angélique.
Brillant, haletant, implacable Borgo fait comprendre l’omniprésence des tentacules de la pieuvre mafieuse dans une œuvre où la complexité des points de vue et des personnages a toute son importance.

 

 

Riddle of fire

  • Réalisateur : Weston Razooli
  • Distribution : Lio Tipton, Charles Halford, Phoebe Ferro, Charlie Stover et Skyler Peters, Lorelei Olivia Mote
  • Nationalité : États-Unis
  • Durée : 1h54min

Dès le pré-générique, avec des plans lointains sur les paysages envoûtants du Wyoming, région de l’enfance de Weston Razooli, des corps entrent dans le champ sur des moto-cross, avant que nous ne découvrions que les trois personnages sont des enfants. Alice, Hazel et Jodie, trois apprentis braqueurs à moto-cross miniature, cagoulés et déterminés, pénètrent par effraction dans un entrepôt pour dérober un trésor : une console de jeux. Armés d’une pince géante, d’une corde et de fusils de paint-ball, ils repartent triomphants. De retour à la maison, ils s’installent devant la TV pour jouer à « Otomo Angel », qui a la forme évocatrice d’un donjon de château fort. Mais la mère des deux garçons vient d’installer un contrôle parental sur l’écran. Malade, elle négocie qu’en échange du mot de passe, les enfants devront lui rapporter une tarte à la myrtille. Cependant pour cette tarte, ils ont besoin d’un œuf bien précis. À la recherche de la recette et de ses ingrédients, nos trois « lascars » se retrouvent malgré eux embarqués dans une suite de péripéties.

Riddle of Fire transforme la campagne américaine d’aujourd’hui en un jeu de piste grandeur nature, dans lequel les smartphones tiennent lieu de longues-vues et les nains de jardin de gnomes à abattre. Et Weston Razooli nous offre le regard rêveur des jeunes aventuriers qu’il met en scène, et ce avec un montage plein de trouvailles. Leur aventure est un mélange délicieux de candeur, d’imaginaire et d’humour.
Le cinéaste se met à hauteur d’enfants, et adapte sa mise en scène à leurs gestes et leurs énergies. La tendresse du réalisateur pour ses acteurs imprègne chaque séquence. Les jeunes interprètes s’investissent pleinement dans leurs personnages, à coup d’humour, d’intrépidité et de camaraderie. Leur complémentarité est évidente. Soulignons la perfection de la direction d’acteurs : Phoebe Ferro, Charlie Stover et Skyler Peters, ainsi que Lorelei Olivia Mote qui montre une alchimie à laquelle on croit durant tout le film.

Le film analyse aussi la façon dont les enfants parviennent à vivre dans des familles déstructurées, pour chaque enfant nous constatons l’absence du père, en se créant leurs propres mondes et en nouant des amitiés fabuleuses.
Le film est entièrement tourné en 16mm. Les couleurs sont vives et les tons chauds. Ce choix du 16 mm participe à la construction d’un univers à mi-chemin entre réalité et songe. Il donne une ambiance unique, très années 80, et permet de retrouver les « couleurs Kodak » de ces années. Weston Razooli compare d’ailleurs le 16 mm à la peinture à l’huile qu’il oppose à la peinture acrylique du numérique. Il nous permet aussi de « retomber en enfance ».
Réalisé avec les moyens du bord, dans un « style bricolo » et un mince budget, Riddle of fire, film indépendant américain, ne montre pas d’effets spéciaux spectaculaires, pas de combats titanesques, pas de pirates, … mais une chasse à l’œuf.

Ce film nous offre un mélange des genres. On pense bien sûr à Stand by me (Rob Reiner 1986), aux Goonies (Richard Donner, 1985), à Stranger Things (Matt et Ross Duffer, 2016), The Little Rascals (une série américaine pour enfants des années 1920) avec un mélange d’heroic fantasy (jusqu’à réutiliser la typographie du Seigneur des Anneaux dans le générique) et de western. Riddle of Fire complète sa singularité comme une partie de Donjons & Dragons avec l’emploi récurrent de morceaux de dungeon synth (genre de musique électronique ayant émergé au début des années 1990, notamment grâce à plusieurs artistes venant de la scène black metal. Le genre s’inspire aussi bien de l’atmosphère du black metal que de celle de la musique de fantasy ou des bandes sonores de vieux jeux vidéo).
Riddle of Fire, propose un mélange d’univers teinté de nostalgie et d’insouciance enfantine. C’est un film, qui ravive la mémoire d’une enfance révolue faite de bonheur simple et d’intrépidité, qui fait souffler un vent de liberté et qui réussit à capter une magie de l’enfance communicative.

 

 

 

Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures