Vers un avenir radieux

  • Réalisateur : Nanni Moretti
  •  Genre : drame, comédie
  •  Nationalité : Italie
  •  Distribution : Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando
  • Durée : 1h36min
  • Sortie : 28 juin  2023

Habitué du Festival de Cannes, vingt-deux ans après avoir remporté la Palme d’or avec La chambre du fils et huit ans après Madre Mia pour lequel il a obtenu le prix du jury œcuménique,  Nanni Moretti présente en compétition à Cannes son nouveau film, Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenire). Chez Nanni Moretti, l’état politique de l’Italie et celui de son cinéma sont indissociables. Avec Vers un avenir radieux deux récits s’emboîtent : celui de Giovanni et de son épouse  et celui d’un  film, chronique historique située dans le Rome populaire de 1956. Giovanni est un réalisateur italien qui travaille depuis fort longtemps avec son épouse et productrice Paola. Il s’apprête à réaliser une reconstitution historique. Le scénario se déroule en 1956. Invité par le Parti Communiste Italien, un cirque hongrois s’installe à Rome. Or au même moment, les tanks soviétiques envahissent la Hongrie. 

Le héros du film qui s’appelle Giovanni, le vrai prénom de Moretti, est en pleine crise existentielle, il est imbu de lui-même, égocentrique, envahissant, épuisant.  Il parle fort, il n’écoute personne, il coupe la parole à tout le monde, il donne des leçons, il donne des leçons de cinéma  et de morale à toutes et à tous, il propose constamment sa vision des choses tant sur son film que sur la vie. Giovanni se rend compte qu’il est difficile de revenir en arrière, que les  personnes, les choses changent,  même la réalité, les sentiments, la vie. Il n’y a qu’au cinéma qu’on peut revenir en arrière. Et encore pas toujours.

Avec ce film, Nanni Moretti nous offre un récit introspectif comique-dramatique en interprétant son alter ego de fiction. Il joue avec la satire, notamment dans une scène hilarante où il rencontre des producteurs de Netflix en espérant qu’ils pourront l’aider à terminer son film. Netflix, qui diffuse des films dans 190 pays apprenons-nous dans le film, veut que Giovanni apporte un côté «what the fuck» qu’il n’a absolument pas, et veut imposer à son long-métrage une fin tragique. Nanni Moretti se moque ainsi  des plateformes de streaming et leur modèle économique qui bouleversent l’industrie “Ça me désole qu’autant de réalisateurs et de professionnels du cinéma se soumettent au système du streaming”, s’est justifié le réalisateur lors de la présentation du film.

Beaucoup de sujets sont  traités dans Vers un avenir radieux : l’œuvre de Moretti, son rapport à la narration et à la politique,  le cinéma italien, le temps qui passe,  la création artistique. Il  évoque avec finesse, entre tendresse et mélancolie les aléas de la vie, tant privée que professionnelle, et la nécessité du changement. Il revoit sa manière de faire, remet en question sa vision de l’art. Ce film est une belle comédie dramatique, avec un bel hommage à la chanson italienne, une réflexion sur le temps qui est passé, sur la complexité de l’amour. Comme beaucoup de films cette année, Vers un avenir radieux interroge la façon dont le cinéma peut encore raconter des histoires. Nanni Moretti livre un film personnel sur l’amour du cinéma. Signalons que des références cinématographiques  égrainent le film : de Lola Montes, de Max Ophuls, à Huit et demi de Fellini en passant par Cassavetes. Au cours du film, le principal protagoniste se permet même de téléphoner à Scorsese, invite un historien d’art et une mathématicienne pour débattre violence et morale dans une scène absolument réussie. Federico Fellini est quasiment présent dans le film. Nanni Moretti a expliqué que pendant la pandémie, en 2020,  ont été fêtés les cent ans de la naissance de Fellini et qu’il a revu tous les films de cet immense réalisateur. « Les films de Fellini ont extraordinairement bien vieilli. Je fais des références conscientes à Fellini, mais aussi inconscientes. J’ai tellement aimé ses films, ses personnages, ses atmosphères, qu’ils font partie de moi. » Nanni Moretti.

Si le titre original Il sol dell’avvenire, tiré d’une des grandes chansons de la résistance italienne, semble faire allusion à l’utopie socialiste d’un avenir radieux pour chaque personne, s’il  reste le souvenir du cinéma d’hier, d’une époque, d’un sentiment commun, dans le défilé final des personnages, Nanni Moretti nous donne à voir le «soleil de l’avenir»  avec les visages de ses  acteurs. La fin de son film répond la promesse de son titre et force le destin pour nous promettre du bonheur.

Nezouh

    • Réalisatrice : Soudade Kaadan
    • Genre : drame
    • Nationalité : Syrie
    • Distribution : Kinda Aloush, Halla Zein, Samir Almasri
    • Durée : 1h43mn
    • Sortie : 21 juin 2023

Dans Nezouh, recompensé à la Mostra de Venise, un film lumineux qui concilie le réel et la fable, une adolescente reste avec sa famille dans un immeuble détruit de Damas en pleine guerre civile et trouve une échappatoire dans son imaginaire.

Au cœur du conflit syrien, Zeina, 14 ans, et ses parents sont parmi les derniers à vivre dans leur quartier assiégé de Damas. Lorsqu’un missile fait un trou béant dans leur maison, Motaz, le père, vit cette nouvelle épreuve comme un défi à relever. Zeina, de son côté, va entrevoir une autre réalité. Elle découvre une fenêtre qui ouvre sur un monde de possibilités inimaginables.  La vue des étoiles depuis son lit agit sur elle comme un puissant révélateur, une fenêtre ouverte sur un monde imaginaire qu’elle partage bientôt, en secret avec Amer, son jeune voisin. Quand la violence des combats s’intensifie, Zeina et ses parents sont poussés à partir, mais son père est déterminé à rester dans leur maison. Il refuse d’être un réfugié. Confrontées à un dilemme de vie ou de mort, Zeina et sa mère doivent prendre une décision.

Soudade Kaadan passe le conflit syrien au crible de la fable et en tire un film lumineux qui érige le pouvoir d’évasion par l’imaginaire. Cela fait 12 ans que la guerre en Syrie a commencé, que ce pays  a été mis à feu et à sang, forçant près d’un tiers de sa population à l’exil. Le regard que pose la réalisatrice sur le conflit est avant tout métaphorique. Elle s’appuie sur la douloureuse réalité d’une ville, Damas, champ de ruines et d’absence. Elle filme un huis-clos sur le ton d’une comédie de l’enfermement, où le réel tente d’être surpassé par la volonté de l’optimisme et où toute la force du film consiste à  transcender le tragique par le poétique.

Si la guerre et ses dangers  sont la toile de fond du film, il est encore plus question dans ce film d’ordre patriarcal, synonyme d’enfermement pour les femmes. En effet Nezouh repose sur une idée originale et audacieuse : un parallèle entre la destruction d’un foyer par la guerre et une libération du patriarcat. Le logement de la famille de Zeina symbolise une certaine idée de la famille traditionnelle, essentiellement construite autour de la figure paternelle et masculine. Après une  explosion, la lumière vient enfin baigner ces personnages qui vivaient jusque-là dans la pénombre. Mieux, les trous dans les murs sont autant de fenêtres sur l’extérieur évoquant la possibilité d’une fuite. Une perspective que Motaz s’empressera de boucher avec… des voiles.

Avoir foi en l’avenir, surmonter ses peurs, espérer plutôt que subir, s’appuyer sur les ressources de l’imagination, permettre aux femmes de prendre  leur indépendance : telles sont les thématiques principales de ce film.

Nezouh, qui signifie le déplacement des âmes et des personnes, est un film qui sublime le pouvoir de l’imagination dans le processus de résilience. Zeina et Hala plongent leurs regards dans le bleu du ciel comme elles plongeraient dans la mer dont elles rêvent… Soudade Kaadan réussit un film à la fois solaire et étoilé, en évoquant  la question du déracinement.

 

Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures