Anatomie d’une chute

  • Réalisateur : Justien Triet
  •  Genre : drame, film de procès, thriller
  •  Nationalité : française
  •  Distribution : Sandra Hüller, Swan Arlaud, Milo Machado Graner
  • Durée : 2h30min
  • Sortie : 23 août 2023

La carrière de Justine Triet est intimement liée au Festival de Cannes puisque ses quatre longs métrages y ont été présentés. Repérée à l’ACID (section parallèle de films indépendants présentés en marge du Festival) en 2013 pour La bataille de Solferino, c’est avec la présentation de Victoria à la Semaine de la Critique en 2016 qu’elle obtient une plus large reconnaissance. Ce fut un succès qui lui a permis d’intégrer la compétition officielle dès son film suivant Sybil. Cette année,  Justine Triet  était en compétition officielle au Festival de Cannes avec Anatomie d’une chute. Ce film a obtenu la Palme d’or. La cinéaste de 44 ans succède ainsi à Jane Campion avec La leçon de piano en  1993 et à Julia Ducournau avec Titane en 2021.

Sandra, une romancière germanique à succès vit dans un chalet avec son mari français, Samuel et leur fils Daniel, 11 ans, malvoyant depuis un accident qui a bouleversé la cellule familiale. En rentrant d’une balade, Daniel trouve son père étendu à l’entrée du chalet, gisant dans une mare de sang. Déclarée comme une mort suspecte, la justice décide de s’en prendre à Sandra et de l’inculper. Le doute est donc de mise : s’agit-il d’un suicide ou bien d’un meurtre? Un an plus tard, le procès a lieu, permettant de mettre en lumière l’origine de cette tragique chute.

Tout commence par une tension: une tension entre Sandra et une journaliste venue l’interviewer,  et une tension entre Sandra et son mari. Ce qui se joue dans la tension entre la femme et son époux ne se voit pas, mais s’entend autant qu’il se devine. En quelques secondes Justine Triet «place ses pions», dévoilant les fêlures d’un couple en opposition totale et dont l’amour semble brisé. Au milieu d’eux se trouve leur jeune fils, Daniel, quasi aveugle.

Le titre du film, qui fait clairement penser à Anatomy of a crime d’Otto Preminger, doit se lire à plusieurs niveaux. La chute du titre correspond évidemment à l’incident déclencheur de l’intrigue, mais également à la déchéance  du couple formé par Sandra et Samuel, qui va nous être racontée à rebours à travers des témoignages et des pièces à conviction, à l’image d’un enregistrement audio réalisé par la victime la veille du drame. Cette chute montre aussi le délitement de la vie de Sandra. Cette dernière voit son existence bouleversée du jour au lendemain. Lors du procès, sa vie privée se retrouve disséquée sous tous les angles possibles et imaginables. Comme l’explique la cinéaste dans le dossier de presse : «L’idée, c’était de raconter la chute d’un corps, de façon technique, d’en faire l’image de la chute du couple, d’une histoire d’amour».

Le film s’approprie le genre du film policier et celui du film de procès. Justine Triet va aller creuser dans les abîmes de la psychologie humaine et nous propose  une forte réflexion à la fois psychologique, politique et sexuelle sur l’opposition des egos, le désir, la frustration, la jalousie et l’intimité dans un couple. La dissection du couple, que propose la réalisatrice, c’est surtout celle de l’érosion de la passion, et sur comment continuer à la faire vivre.

Comme son titre l’indique, Anatomie d’une chute entend étudier cliniquement le cours d’un procès face à un cas aussi complexe que celui d’un possible homicide conjugal. Le procès est captivant au-delà de la force rhétorique et la technique filmique subjugue, étonne. Les joutes oratoires entre avocats sont impressionnantes d’intelligence et souvent même de drôleries. Au cours de ce procès, Justine Triet nous fait douter sur ce qui a pu se jouer entre Sandra et Samuel. Il avait toutes les raisons de se suicider, elle avait aussi des motivations pour le tuer. Au centre de de cet amour/haine/passion, n’est-ce  pas Daniel, enfant sacrifié du couple qui détient possiblement une part de la vérité ?

Anatomie d’une chute questionne et place le spectateur comme un des membres du jury, qui  va connaître progressivement les maux qui rongeaient ce couple depuis des années : d’abord par des témoignages, puis via l’aide exceptionnelle de deux flash-backs. L’intérêt du film ne se résume pas au personnage central de Sandra. Tous les protagonistes qui l’entourent prennent une part tout à fait importante dans le récit, qu’il s’agisse du jeune enfant aveugle, de l’avocat, du procureur et même de la présidente du tribunal. Ils servent la mécanique de l’univers de la justice La puissance évocatrice de la narration permet de révéler tous les enjeux et les tourments des personnages qui gravitent autour de cette femme. En concentrant sa mise en scène sur la parole des protagonistes, Justine Triet interroge la notion même de «vérité» au sein d’un tribunal.

Visuellement le film bouscule tout ce qu’on peut attendre d’un film de procès. Les longs métrages se déroulant au tribunal répondent souvent à un «cadre» très précis: lignes symétriques, plans fixes, cadres majestueux. Anatomie d’une chute déstabilise par son mouvement. La cinéaste multiplie les zooms, les contre-plongées, les gros plans et les mouvements de caméra.

Anatomie d’une chute, passionnant par son approche précise et réaliste, est un film de procès redoutable et un drame familial qui captive en interrogeant sur les rapports humains. Il se situe entre la chronique judiciaire, le drame et le thriller.   

Ama Gloria

    • Réalisatrice : Marie Amachoukeli
    • Genre : drame
    • Nationalité : France, Cap Vert
    • Distribution : Louise Mauroy-Panzani, Ilça Moreno Zego    
    • Durée : 1h23mn
    • Sortie : 30 août 2023

Marie Amachoukeli est de retour au Festival de Cannes à la Semaine de la Critique. La cinéaste nous offre le portrait solaire d’une femme ordinaire, empêtrée dans les tracas du quotidien. Ce personnage, c’est Gloria, une nourrice qui a noué un lien très fort avec la petite Cléo, au point de la considérer comme sa propre fille. Depuis la mort de sa mère, la fillette a trouvé une maman de substitution en cette nounou, une épaule toujours là pour absorber ses mélancolies juvéniles. Alors que Gloria doit retourner d’urgence au Cap-Vert auprès de ses enfants, la séparation est inconcevable et insupportable pour la gamine, au point de pousser son père à l’envoyer passer l’été là-bas.

L’une des grandes forces d’Ama Gloria est cette  façon dont est présenté et analysé  le lien qui unit ces deux filles sans mère. Cette bonté et cet amour réciproque irradient l’écran. Parce que les liens du coeur sont parfois plus forts que les liens du sang, leurs retrouvailles en disent long sur l’attachement et la perspective de  se séparer et construire, l’une sans l’autre, leur nouvelle vie. Du haut de ses six ans, Cléo sent bien que sa place ne sera bientôt plus aux côtés de Gloria, qui lui offre pourtant une place de choix le temps de son séjour et la présente « comme sa fille ».

Pudique et subtile, cette chronique estivale à hauteur d’enfant séduit par la douceur avec laquelle elle capte ces tourments enfantins. Entrecoupé de séquences d’animation, tantôt souvenirs, tantôt rêves, et même astuces de tournage, le récit touche grâce à une absence totale de superficialité, la caméra se concentrant sur la capture des émotions, les regards et les moments de vie.

Le cadrage et les gros plans nous dévoilent combien l’enfant a soif d’attention, d’écoute, d’exclusivité et combien avec délicatesse, douceur, justesse, Gloria lui offre le cadre rassurant et aimant qui rendra la séparation inévitable tellement difficile. L’itinéraire de Gloria avec sa famille du Cap-Vert et la place qu’y tient Cléo, nous questionnent sur la construction de la maternité et de la famille, sur ce qui permet qu’on nomme une personne « amour » (« ama » partie du titre du film), sur la déchirure de la séparation,  sur le chemin douloureux de l’acceptation de la perte de son statut d’unique centre du monde.

 

 

Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures