Sacerdoce

  • Réalisateur : Damien Boyer
  •  Genre : documentaire
  •  Nationalité : français
  • Durée : 1h30min
  • Sortie : 18 octobre 2023

 

Ce film documentaire Sacerdoce  réalisé par Damien Boyer, d’une durée de  90 minutes  brosse le quotidien et la mission de cinq prêtres aux profils et aux itinéraires très différents.

Depuis des siècles, les prêtres accompagnent de nombreuses personnes dans leur vie, dans les moments de joie comme d’épreuve. Le film retrace l’itinéraire de chacun : leur choix de devenir prêtre et les sacrifices qu’implique cette décision, leur quotidien apostolique et leur mission dans le monde. En France ou dans d’autres pays, en soutane ou en simple col romain, grand débutant ou vieux loup aguerri,  le spectateur est plongé dans la vie de chacun, dans leurs joies et dans leurs doutes; en somme, dans leur intimité.

Antoine, prêtre vagabond, ancien rider, sillonne l’Ariège avec sa caravane pour écouter les villageois. Gaspard, prêtre montagnard, pousse les jeunes à se dépasser, à contempler la création, et à se débarrasser de leurs addictions. François, prêtre parisien expérimenté, apporte son regard empreint de sagesse sur la nature profonde du sacerdoce. Paul souhaite remporter le championnat de France du clergé à vélo. Le Père Matthieu emmène Jésus en procession dans les quartiers chauds des Philippines. A travers leurs vies données au monde s’esquissent les enjeux de leur engagement et de la prêtrise au XXIe siècle.

Tous avec leur style, leurs combats, leur franchise, leur liberté, évoquent leur façon de suivre le Christ dans ce 21ieme siècle. Ils racontent leur parcours personnels,  leurs fragilités, leurs engagements et leurs luttes, leurs hontes face aux affaires de mœurs, leurs désarrois dans les églises vides,… C’est avec liberté et authenticité  qu’ils disent la foi qui les anime.

Ce film  documentaire autour de cinq figures sacerdotales révèle une « facette du prêtre ». Sorti en salle mercredi 18 octobre 2023, dans 144 cinémas en France a enregistré « près de 20000 entrées en cinq jours.  Il rencontre un vif succès.

Les personnes qui ont vu le film saluent majoritairement la justesse du documentaire. « Un film exceptionnel. Pour quelqu’un de non croyant mais curieux face à la personne du prêtre, au sein d’une Église paraissant si froide et rétrograde, ce film est un témoignage profondément marquant du don de soi et de la vertu de ces hommes de Dieu », peut-on lire parmi des commentaires  de  spectateurs. Ou encore « Magnifique film documentaire autour de la vie donnée de cinq hommes authentiques et vrais ! Pas du tout un film promotionnel mais une belle leçon de vie sur la motivation et l’engagement de ces cinq hommes ! », s’enthousiasme un commentateur, soulignant aussi bien la qualité technique du film que l’émotion produite par les différents témoignages. De nombreux spectateurs ont ainsi salué le choix du réalisateur d’humaniser la figure du prêtre sans l’encenser ni occulter les multiples « sujets sensibles » auxquels l’Église catholique doit faire face, notamment la question de abus sexuels.

Sacerdoce est un bel hommage aux prêtres.

 

L’abbé Pierre – Une vie de combats

    • Réalisateur : Fréderic Tellier
    • Genre : drame
    • Nationalité : France
    • Distribution : Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz
    • Durée : 2h18mn
    • Sortie : 8 novembre 2023

Après Lambert Wilson dans Hiver 54, l’abbé Pierre (1989)c’est au tour de Benjamin Lavernhe     de prêter ses traits au prêtre catholique dans le film L’Abbé Pierre : Une vie de Combat. Le film de 1989 se concentrait sur un épisode spécifique de la vie de l’ecclésiastique: l’hiver 54. Frédéric Tellier fait le choix de couvrir toute la vie d’Henri Grouès (de son vrai nom), de sa jeunesse à sa mort en 2007, en montrant ses erreurs, le fil rouge de son amitié avec sa collaboratrice au quotidien, Lucie Coutaz, son éloquence oratoire, son engagement politique…

« J’ai passé ma vie à combattre la faim, le froid, la misère, la solitude. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour aider les autres. Est-ce-que ça a suffi? Est-ce-que j’ai réussi à changer les choses? Est-ce-que je laisse derrière moi un monde meilleur? » C’est par ces propos que s’ouvre le long-métrage de Frédéric Tellier, retraçant 60 ans de la vie de l’Abbé Pierre.

Né dans une famille bourgeoise, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère, les inégalités et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’abbé Pierre.

Comment filmer la sainteté? Il existe en fait deux manières : la manière incarnée, intériorisée et dépouillée, celle choisie par Bresson (Le Journal d’un curé  campagne), Pialat (Sous le soleil de Satan), Cavalier (Thérèse), où l’âme jaillit d’une introspection douloureuse et d’une discrète résonance avec les actes ; l’autre manière consiste à envisager la personne en tant qu’être humain faillible, à la filmer comme un personnage public. C’est l’option de Frédéric Tellier : l’Abbé Pierre est surtout considéré comme un être médiatique, avant d’être un être qui pense et souffre.

L’abbé Pierre, une vie de combats retrace ses luttes, de sa mobilisation pendant la Seconde Guerre mondiale à ses actes de résistance, en passant par son engagement pour les sans-abri ou encore la fondation d’Emmaüs. Le metteur en scène ne dresse pourtant pas un portrait hagiographique du prêtre. «Je voulais raconter l’homme qui se cachait derrière le mythe sans enjoliver la réalité ni cacher les polémiques», avait dit dans pendant le tournage du film. Frédéric Tellier filme l’abbé Pierre à hauteur d’homme et parvient à en brosser un portrait fort et complexe. Sans chercher à gommer les aspérités d’un parcours, le cinéaste choisit de mettre en scène doutes et fragilités d’un homme qui resta, de 1989 à 2003, au firmament des personnalités préférées des français. L’Abbé Pierre se laissa guider par un seul message, celui de l’Evangile, affirmant à maintes reprises qu’il fallait croire au partage et à l’amour pour bâtir une société plus humaine. La plupart des déclarations de l’Abbé Pierre n’ont rien perdu de leur actualité : « La fraternité ne connaît pas de repos ».

« Je voulais être un saint. Je n’en suis pas capable ». Henry Grouès pleure quand il est écarté en 1939 du couvent des Capucins à Crest où il a passé sept années car il n’est pas assez solide physiquement pour y endurer le quotidien. Puis c’est la guerre où il commande un détachement de soldats français dans la Maurienne, avec d’abord la peur (surtout de devoir tuer), les doutes, la faiblesse… Un conflit qu’il traversera ensuite dans la résistance, aidant des juifs à passer clandestinement la frontière, en guérilla contre les Allemands, en face-à-face avec de lourdes décisions (faire fusiller un traître, donner du cyanure à des torturés) et avec la noirceur du monde. C’est là qu’il change d’identité, devenant l’abbé Pierre et il rencontra Lucie Coutaz (à laquelle  Frédéric Tellier rend un bel hommage) qui deviendra sa secrétaire de la seconde guerre mondiale jusqu’à ce qu’elle ne décède en 1982. Elle fut la co-fondatrice du mouvement Emmaüs et a contribué à son développement. Sans elle, sans différents intervenants comme certains compagnons d’Emmaüs, l’abbé Pierre n’aurait sûrement pas pu réaliser tout ce qu’il a entrepris et il était le premier à le reconnaître.

Avec l’ abbé Pierre, le mot combat se décline au pluriel dans ce film, comme dans la vie d’Henri Grouès : combat contre le nazisme, contre la pauvreté, contre l’injustice, mais aussi parfois contre soi-même : contre sa faiblesse de constitution qui le fait échouer dans la vie contemplative des Capucins, contre ses défaillances et contre la tentation de juger, de condamner des hommes et des femmes rejetés ou qui paraissaient perdus à jamais pour la société. 

Le scénario survole très habilement 70 ans, entrecoupant les séquences de fiction, d’archives télévisuelles ou de coupures de journaux, et utilisant en voix-off certains écrits de l’abbé Pierre. L’abondance des discours du personnage principal  est même parfois traitée en split screen. Le long-métrage de Frédéric Tellier, s’il semble être d’une grande honnêteté, n’évite pas quelques écueils ou maladresses. L’Abbé Pierre, une vie de combats reste avant tout un beau film qui évite tous les pièges de l’hagiographie pour nous livrer le portrait d’un homme déterminé à mener des combats qui le grandissent, le transcendent. Des scènes très fortes et une richesse thématique font de cette œuvre à la fois un précieux témoignage et une source de questionnement sur nous-mêmes. La mise en scène, à la fois efficace et sobre, restitue bien l’intensité des situations, l’urgence des enjeux et la cruauté d’un monde et des différentes époques. L’Abbé Pierre, une vie de combats s’affirme comme un beau moment de cinéma, mais aussi un travail de mémoire essentiel et une réflexion sur ce que sont l’engagement et le dévouement. Le film offre au grand public une instructive synthèse très vaste en relayant ce message qui résonne encore aujourd’hui : « refuser ce monde où le plus grand nombre souffre, se mobiliser contre l’injustice », œuvrer en faveur de « l’insurrection de la liberté, de la justice, sinon ce sera l’insurrection de la colère. »

The Old Oak

    • Réalisateur : Ken Loach
    • Genre : drame
    • Nationalité : Grande-Bretagne
    • Distribution : Dave Turner, Ebba Mari, Claire Rodgerson
    • Durée : 1h53mn
    • Sortie : 25 octobre 2023

Figure emblématique du cinéma social, ayant reçu le  Prix du Jury à trois reprises (Hidden agendaRaining Stones et La Part des anges) et doublement Palme d’Or (Le vent se lève en 2006 et Moi, Daniel Blake en 2016), Ken Loach a présenté au 76ime festival de Cannes 2023, The Old Oak  qui  a reçu une mention spéciale du jury œcuménique. Dans ce film qui boucle la trilogie sur la paupérisation de la classe ouvrière commencée avec Moi, Daniel Blake et continuée avec Sorry we missed you, le réalisateur de 87 ans raconte, dans une petite ville du nord-est de l’Angleterre, ravagée par la fermeture des mines et  gangrénée par la paupérisation, l’arrivée de réfugiés syriens fuyant leur pays dévasté par la guerre. Cette situation  va  créer des tensions et va à la fois diviser ses habitants et créer un sursaut d’humanité.

La première séquence du film est  violente et  forte.  Un autocar de migrants syriens arrive dans cette petite ville. L’accueil des réfugiés est tendu et  un autochtone casse l’appareil photo de Yara, une jeune migrante. Or  cet appareil photo revêt une dimension sentimentale très importante aux yeux de Yara. C’est à travers leur passion commune pour la photographie, qui témoigne de l’histoire de leur peuple, que naît l’amitié entre Yara et TJ Ballantyne, le propriétaire du pub.

Le Old Oak, « le vieux chêne » le nom du pub local, est le dernier lieu de sociabilité de cette petite ville, où se retrouvent « des blessés de la société », des chômeurs, des désœuvrés et des habitués, consommateurs de bière pétris d’une haine xénophobe, des familles locales qui ont des difficultés à se loger décemment, à nourrir leurs enfants et un groupe de réfugiés syriens. Malgré les rivalités  entre les autochtones et les étrangers, Ken Loach ne montre  aucune ambiguïté chez les réfugiés, ils  sont remplis de bonté. Jamais manichéen, le scénario montre bien les raisons de chacun de repousser ou de soutenir les réfugiés. Le réalisateur  ne condamne jamais les personnages du film, il veut réellement mettre en évidence leurs contradictions et leurs déchirures internes et intimes. Ken Loach démontre aussi que, malgré leurs cultures différentes, les habitants de la petite ville et les réfugiés syriens ont des valeurs communes et connaissent de mêmes réalités.

Au centre de l’histoire, une amitié lumineuse va se développer entre TJ Ballantyne, propriétaire du pub,  homme d’âge mûr,  usé, cabossé,  d’une grande humanité et

qui veut croire à la  fraternité et  à la  résistance collective, et Yara, migrante parlant fort correctement l’anglais, ne portant pas le voile et jeune femme déterminée. Elle symbolise aussi  la résilience d’un grand nombre de migrants. L’arrivée des réfugiés transforme le quotidien de JT. En effet, il doit apprendre à se réconcilier avec lui-même, sa femme l’a quitté et son fils ne vient jamais le voir. Il porte toute son affection sur Mara, sa petite chienne.  JT, comme le nom de son pub, est un vieux chêne. Il va prendre la jeune femme sous son aile et organiser une solidarité pour aider ces familles de réfugiés, mais aussi les enfants défavorisés de la ville. Il  se met à dos ses plus proches amis et fidèles clients du pub, qui voient d’un mauvais œil l’implantation d’étrangers dans leur ville. En effet cette ville vit avec  son histoire, ses  fantômes et  ses deuils.

L’appareil photo  que JT offre à Yara devient un enjeu d’une grande importance.  La jeune fille va redonner des couleurs à la vie les habitants, qui ont si peu à manger ou à partager. C’est dans ce genre de situation extrême, à travers la prise de repas en commun,  que les cœurs s’ouvrent déclare la jeune fille : « Quand on mange ensemble, on se serre les coudes », « Dans la vie, parfois, il n’y a pas besoin de mots, juste de la nourriture ».

Avec l’aide de Yara et d’une femme du village, JT décide d’organiser une cantine solidaire dans une arrière-salle désaffectée de son établissement, aux murs couverts de photos, hommages en noir et blanc à la grande grève des mineurs contre le gouvernement de Margaret Thatcher, en 1984-1985.

C’est le concept de la solidarité et non de la charité que développe Ken Loach dans The Old Oak. Des  moments d’humanité profonde, comme lorsque la mère de Yara apporte à manger à TJ durant une épreuve qu’il traverse, illustrent le film. De même le partage, élément clé, réunit les populations « parfois, dans la vie, il n’y a pas besoin de mots, seulement de nourriture ». Ken Loach s’intéresse aussi à la bonté, au vivre ensemble   et à une foi très forte en l’humain. « L’espoir fait tenir, mais il fait mal », dit Yara, aux  problématiques actuelles relatives à l’accueil des réfugiés et à l’intégration interculturelle. Le mot communauté revient plusieurs fois.

Signalons une très belle séquence dans laquelle Yara, bien que musulmane, apprécie la beauté symbolique d’une cathédrale, illustrant l’universalité de la beauté et du sacré. TJ lui explique que la cathédrale n’appartient pas à l’église mais à ses bâtisseurs. Cette séquence souligne l’approche humaniste du film, montrant que la coexistence pacifique et l’acceptation sont possibles.  Dans cette cathédrale fondée au XIe siècle, la jeune femme évoque le devenir séculaire de la Syrie.

Ode au partage, le film de Ken Loach rappelle une fois encore que la clé de voûte de notre espérance réside dans notre capacité à intégrer et considérer l’autre au-delà de nos différences. The Old Oak porte bien son nom et rappelle combien le chêne, symbole de résistance, de justice, de communication, d’hospitalité comme de générosité est une solution pour une humanité plus solidaire et sereine.

Ken Loach qui aime se définir comme un disciple d’auteurs, notamment  Émile Zola ou Charles Dickens considère son travail de réalisateur comme une peinture minutieuse de la société britannique. Comme les deux écrivains le faisaient en décrivant et en observant leurs sociétés respectives, Ken Loach cherche lui aussi à rendre compte de la réalité sociale de son époque et de son pays : difficultés sociales des familles populaires, ravages des politiques publiques, sort des immigrés clandestins,… Il n’a de cesse, dans ses films, d’interroger les structures de pouvoir qui enserrent et déterminent les individus. Son œuvre ne constitue rien de moins qu’un appel à la dignité de tous ceux, précaires et vulnérables, qui subissent la loi du marché. D’ailleurs les déclarations du cinéaste britannique ne laissent planer aucun doute sur ses intentions. Il entend immortaliser « la façon dont nous vivons en société » et construire « un récit qui fera ressortir (…) les enjeux du contexte social »

 

Philippe Cabrol, Chrétiens et Cultures